Harcèlement en ligne: “On ne vit pas le cyberharcèlement de la même façon si on est soutenu ou isolé”, journaliste Julie Hainaut

Julie Hainaut est journaliste indépendante et autrice. En 2017 elle publie dans l'hebdomadaire Le Petit Bulletin les propos choquants sur l'époque coloniale prononcés par les propriétaires d'un bar. La publication par un site néonazi de commentaires injurieux à son encontre entraîne un torrent d’insultes, de menaces de viol et de morts sur les réseaux sociaux. Elle décide de porter plainte sans soutien de son journal. En vain. L’un de ses harceleurs sera finalement condamné à une peine de prison avec sursis. En août 2022, l'inspection du travail admet que le Petit Bulletin “a manqué à ses obligations légales" envers la journaliste constatant "un cas de violence au travail particulièrement grave".

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FIJ: Vous avez rapporté que votre employeur est resté totalement silencieux suite à la campagne de haine et de harcèlement en ligne dont vous avez été la cible en 2017. Le rapport d’inspection a conclu fin août à de nombreux manquements de la hiérarchie du Petit Bulletin. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le manque de réaction de votre employeur ? Quel type d'aide pensez-vous qu'un média devrait apporter?

Mon employeur a manqué à toutes ses obligations légales. Rien, absolument rien n’a été respecté. Pourtant, la loi est claire : l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé mentale et physique de ses salariés. A aucun moment cela n’a été le cas : pas de document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP)*, pas de déclaration d’accident du travail, pas de suivi médical par le service de santé au travail, pas de mesure pour limiter les conséquences du dommage sur mon état de santé... Pire, ils m’ont mise à l’écart, comme le précise le rapport. Autre fait pointé par l’inspection : mon employeur aurait pu me soutenir juridiquement, ce qu’il n’a jamais fait.

Les médias doivent respecter la loi, tout simplement. Et donc veiller à la sécurité et à la santé de leurs salarié.es. Un soutien moral est le bienvenu également. On ne vit pas le cyberharcèlement de la même façon si on est soutenu ou isolé. Aujourd’hui, la révélation des violences subies ne donne pas lieu à la prise de mesures au sein d’une rédaction dans 61% des cas, selon une enquête de Laurène Daycard pour RSF (« Le journalisme face au sexisme », 2021). Ce chiffre est inquiétant.

En amont, les rédactions devraient être formées à la question du cyberharcèlement et avoir un dispositif d’urgence en cas de menaces à l’encontre d’un.e journaliste.

FIJ: Le Syndicat national des journalistes (SNJ) s'est porté partie civile dans le procès contre l'un de vos harceleurs. En quoi le soutien de la SNJ fut important pour vous ?

Le SNJ et RSF se sont portés parties civiles. Le soutien de la profession est essentiel. D’une part pour contrer l’isolement dans lequel le cyberharcèlement nous plonge, mais également pour le soutien moral et l’aide juridique qu’ils peuvent apporter.

FIJ: Quelles différences notez-vous entre le traitement (judiciaire, médiatique, policier) qu'avait reçu votre cas et les affaires actuelles reconnues par la justice comme "cyberharcèlement" ?

Mon affaire est la première en la matière, tout juste avant #metoo. J’ai essuyé les plâtres. Les policiers ne connaissaient pas le mot « cyberharcèlement », et il n’a jamais été retenu dans mes plaintes. Les policiers n’étaient pas formés à ces violences. Mon harceleur a été jugé pour injures publiques et diffamation. Aujourd’hui, ce mot est plus ancré. La loi a évolué, notamment concernant les raids numériques. Cette affaire aurait lieu aujourd’hui, elle ne serait pas traitée de la même manière.

FIJ: Face aux implications et aux effets psychologiques du cyberharcèlement, quelles pourraient être les réponses apportées par les syndicats ?

De l’écoute, avant tout. Dans ces moments-là, on a besoin d’être écouté.e et entendu.e. Beaucoup de gens donnent leur avis, jugent, sans écouter la victime. On finit par se taire. Ensuite, une aide juridique, une aide pour trouver un bon psy aussi. Il pourrait y avoir également une aide sur les règles indispensables pour protéger sa sécurité numérique. Enfin, prendre en charge les réseaux sociaux du ou de la journaliste cyberharcelé.e pendant cette période serait un vrai plus.

FIJ: Quels conseils donneriez-vous à des journalistes pris.es pour cible par des cyberharceleur.se.s ? Et plus spécifiquement à des femmes journalistes ?

Bien s’entourer, ne pas culpabiliser, ne pas avoir honte et être suivi dès le début par un (bon) psy spécialisé pour connaître ce qui nous attend (stress post-traumatique, entre autres). Mais également faire des captures d’écran, ne pas répondre aux harceleurs, vérifier ses paramètres de sécurité, porter plainte auprès du Procureur.

FIJ: Prenez-vous désormais des précautions particulières lorsque vous vous exprimez sur les réseaux sociaux ?

Bien sûr. Je me musèle beaucoup.

FIJ: Comment sortir du champ de la répression du cyberharcèlement pour passer à celui de la prévention ?

En s’attaquant à la base du problème : les rapports de dominations qui existent et constituent la société. Et les faire disparaître. Ça a été ultra documenté : le cyberharcèlement touche essentiellement les minorités et les personnes minorisées. Un peu d’éducation aussi ne ferait pas de mal, que ce soit dans les écoles, dans les rédactions, dans les entreprises…

*document obligatoire pour les entreprises dès l’embauche d’un salarié depuis 2001. Il doit être régulièrement mis à jour. A défaut de l’avoir réalisé, l’entreprise s’expose, en cas de contrôle de l’inspection du travail ou de la médecine du travail, à une amende.

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