Ukraine : « Nos collègues de Lviv ne s’attendaient pas à recevoir une telle aide »

Le Syndicat des journalistes de la presse quotidienne à Athènes (JUADN), en collaboration avec l’Assurance unifiée des journalistes et organisation des prestations pour soins de santé (EDOEAP) et avec le soutien de la Fédération panhellénique des syndicats de journalistes (PFJU), a collecté et apporté près d’une tonne de biens solidaires pour soutenir les journalistes dans le besoin auprès des syndicats de journalistes en Ukraine. Maria Antoniadou, présidente de la JUADN, discute avec la FIJ de cet étonnant élan de solidarité et explique la tradition historique de la JUADN qui consiste à soutenir les journalistes dans le besoin.

FIJ : Dans l’article « La mission ESIEA a apporté avec succès une aide humanitaire à ses collègues ukrainiens », vous dites que la mission de solidarité JUADN-ESIEA en Ukraine a été longue et difficile, pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Il nous fallait d’abord déterminer comment atteindre le lieu et avec qui travailler. Notre objectif premier était d’atteindre Varsovie pour y distribuer l’aide humanitaire, et ce, en collaboration avec Jolanta Hajdasz du syndicat polonais (SDP), que nous remercions du fond du cœur, et Jeremy Dear, Secrétaire général adjoint de la FIJ. Nous avions donc l’intention d’atteindre Varsovie et de distribuer l’aide à partir de là. Cependant, lorsque nous avons commencé à récolter l’aide et que nous avons obtenu, avec d’autres, un financement de voyage, nous avons décidé d’essayer d’atteindre l’Ukraine. 

Le voyage était difficile, tout devait être parfaitement organisé. Lorsque nous sommes arrivés à Varsovie, Jolanda Hajdasz, du syndicat polonais, nous attendait. La demi-tonne de marchandises que nous avions transportée depuis Athènes devait être transférée dans une camionnette spéciale afin que nous puissions poursuivre notre voyage. Nous avons passé la nuit à Varsovie et visité un lieu spécial accueillant 62 enfants orphelins qui avaient fui Marioupol. Nous avons ensuite réussi à trouver une deuxième camionnette pour y charger la nourriture que nous avions achetée dans un supermarché polonais pour nos collègues ukrainiens.

Nous sommes restés à proximité de la frontière avec Jolanda Hajdasz, qui a parcouru avec nous près de 700 km et est restée dans un hôtel. Par chance, nous avons rencontré des volontaires grecs et polonais qui nous ont aidés à louer des voitures, car celles venant de Pologne ne pouvaient pas entrer sur le sol ukrainien.  

Les formalités à la frontière ne furent pas faciles, nous avons dû attendre trois heures et changer de voiture pour rejoindre nos collègues à Lviv, à savoir Yaroslav Klymovych, le chef de la branche régionale du NUJU de Lviv.

Notre voyage vers la Pologne a été plus difficile. Nous avons dû attendre pendant près de 8 heures, malgré une autorisation spéciale nous permettant de délivrer l’aide humanitaire, car il y avait des milliers de réfugiés sur la route et la présence de l’armée était très visible. Nous avons été arrêtés et contrôlés plusieurs fois. 

Nous avons pu surmonter toutes les difficultés grâce à l’aide humanitaire que nous transportions, toujours munis de nos cartes de presse de la FIJ. La partie la plus difficile était bien sûr le passage de la frontière et les contrôles de l’armée.

Nous n’avions que 24 heures pour organiser cette mission complexe. J’étais bien sûr préoccupée par la sécurité des membres de la mission. Lorsque nous avons traversé la frontière, Lviv a commencé à être bombardée.

FIJ : Dans le même communiqué, vous avez déclaré que « la solidarité est votre arme ». D’où est venu ce grand élan de solidarité ?

Le JUADN a été créé en 1914 en tant que mouvement de solidarité. À l’époque, un collègue était décédé et il n’y avait pas d’argent pour l’enterrer. Un groupe de 33 collègues a donc payé les frais d’enterrement et a été le premier à créer le Syndicat des journalistes de la presse quotidienne à Athènes que nous connaissons aujourd’hui. Quatre ans plus tard a été créé le Fonds spécial de solidarité afin de soutenir tous les journalistes grecs dans le besoin, et ce, à la demande de la Fédération internationale des journalistes. Je tiens à préciser que ce Fonds a permis de soutenir les journalistes grecs contraints de fuir Istanbul, l’Asie Mineure et la mer Noire à la suite de la catastrophe d’Asie Mineure de 1922. Ce fonds a soutenu les journalistes pendant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale, parmi lesquels des poètes et des écrivains de premier plan, tous membres du syndicat et journalistes de profession. C’est ce même Fonds qui, depuis 108 ans, soutient tous les journalistes athéniens au chômage et nos collègues en difficulté. Oui, la solidarité est notre arme, comme le confirment l’histoire et la tradition du JUADN. C’est la tradition et l’histoire du JUADN depuis 1914, qu’aucun président ou Bureau exécutif n’a le droit de rejeter. C’est ce que nos ancêtres ont fait et cela continue.

FIJ : Est-ce votre première campagne de solidarité ?

Non. Après l’invasion turque de Chypre dans les années 70, la JUADN a organisé une campagne spéciale pour soutenir nos collègues chypriotes, membres de notre syndicat affilié, qui nous ont soutenus en retour dans les moments difficiles que nous avons traversés lors de la dernière crise économique. En 1999, lorsque la station de télévision de Belgrade a été bombardée, une mission spéciale de la JUADN dirigée par le président Nikos Kiaos s’est rendue sur place pour soutenir les journalistes grecs qui couvraient les événements et les membres serbes des syndicats affiliés serbes. Les membres de la mission ont apporté de la nourriture, des médicaments, de l’argent et ont été soutenus par tous les moyens par nos collègues serbes. Notre présence en Ukraine est la continuation de tels efforts.

FIJ : Nous imaginons qu’il ne doit pas être facile d’entreprendre un projet impliquant un voyage avec du matériel lourd dans un pays en guerre. Comment avez-vous organisé l’expédition ?

Non, ce n’était pas facile. George Gavalas, 2e vice-président, Machi Nikolara, secrétaire aux affaires spéciales et George Votskaris, membre du Bureau exécutif, ont travaillé dur. Le département des relations internationales de la JUADN a travaillé dur pour communiquer avec la FIJ et nos collègues en Pologne. Des membres du syndicat se sont également portés volontaires et ont aidé en Pologne et en Ukraine pour mener à bien cette mission et recueillir rapidement des fonds. Dix personnes ont travaillé nuit et jour au syndicat pour que cette mission soit accomplie et, avec l’aide de la FIJ, nous avons également pu assurer la sécurité du voyage.

FIJ : Avez-vous respecté des conseils de sécurité, si oui, le(s)quel(s) ?

Pour commencer, nous avons évité de nous déplacer seuls en Ukraine. Tous les membres de la mission étaient toujours ensemble dès le début. Nous avions discuté et décidé que nous n’allions pas là-bas pour faire des reportages, mais bien pour aider nos collègues sur la ligne de front et nous avons évité de prendre des photos ou de filmer quoi que ce soit d’intérêt militaire. Malgré le conseil du ministère grec des Affaires étrangères, d’éviter la zone de guerre, les autorités diplomatiques grecques en Pologne nous ont aidés à récupérer la cargaison et à organiser le voyage, en nous donnant des informations pratiques sur la distance à parcourir, etc. Elles nous ont conseillé de ne pas nous exposer au danger et de ne pas voyager jusqu’à la toute dernière minute, mais pour nous, atteindre l’Ukraine était de la plus haute importance et c’est pourquoi nous l’avons fait.

Nous parlons ici de près d’une demi-tonne d’aide pour les journalistes en Ukraine, était-ce difficile de collecter autant de ressources ? Comment avez-vous fait ?

Il s’agissait d’une demi-tonne d’aide humanitaire depuis Athènes jusqu’en Pologne. En Pologne, nous avons acheté 350 kilos de nourriture supplémentaires, ce qui nous a permis d’atteindre pratiquement une tonne. Non, ce n’était pas difficile. En effet, pendant toutes ces années, grâce à notre Fondation culturelle, nous avons réussi à travailler avec des personnalités très connues qui offrent de l’aide, qui ont été les premières à qui nous avons demandé de l’aide. Le Conseil d’administration de JUADN a décidé à l’unanimité de contribuer à hauteur de 2000 euros en espèces au Fonds de solidarité de la FIJ/FEJ pour soutenir les journalistes ukrainiens ainsi que 8000 euros à utiliser pour la mission qui ont été renforcés par les offres de nos sponsors. Je tiens à remercier la Fondation culturelle et caritative à but non lucratif AEGEAS, les sociétés de télécommunication WIND et COSMOTE ainsi que la compagnie aérienne AEGEAN pour leurs précieuses contributions.

Pourtant, ces entreprises qui ne pouvaient pas offrir de sponsoring ont réduit leurs prix au point de nous permettre d’acheter des biens pour nos collègues. J’espère que ce type de besoin ne sera plus nécessaire, mais si cela se produit et que les finances de notre syndicat nous le permettent, nous continuerons à soutenir de tout cœur nos collègues dans le besoin.

FIJ : Le soir du 10 mars, vous êtes arrivé dans la ville ukrainienne de Lviv. Pouvez-vous décrire votre rencontre avec le syndicat des journalistes ?

En effet, nos collègues de Lviv ne s’attendaient pas à recevoir une telle aide. Ils s’attendaient probablement à quelque chose de moins important ou à une aide différente. Ils se sont précipités pour nous aider à sortir le contenu des trois camionnettes qui transportaient le tout. Ils avaient les bras grands ouverts et pas de mots assez forts pour nous remercier. Ils se sont assurés que nous avions de quoi manger et nous ont proposé de dîner, mais pour des raisons de sécurité, nous ne tenions pas à rester longtemps. Nous voulions atteindre un endroit plus sûr avant la nuit, lorsque le trafic serait interrompu, car la sécurité de la mission passait avant tout. Je tiens à remercier Yaroslav Klymovych, le responsable de la branche régionale du NUJU à Lviv et nos collègues, qui nous ont ouvert leur cœur. Nous ne parlons pas la même langue, mais l’un des membres de Lviv a une sœur qui vit en Grèce et parle couramment le grec. Elle traduisait nos conversations via un téléphone portable. Un autre collègue, professeur de journalisme à l’université, était accompagné d’un traducteur pour faciliter la conversation. Nous les remercions tous du fond du cœur parce qu’ils nous ont ouvert leurs bras, leurs âmes et leur cœur, et nous les remercions également pour leur combat pour permettre la transmission des informations et pour avoir sauvé leur vie. 

FIJ : Comment l’aide a-t-elle été répartie entre les collègues ukrainiens ?

Le matériel a été distribué en consultation avec Sergiy Tomilenko, le président du NUJU et Yaroslav Klymovych, le chef de la branche régionale du NUJU à Lviv. Si seulement nous avions pu emporter plus de caméras. Outre la nourriture que nous avons achetée en Pologne, une grande partie des produits d’aide consistait en des équipements électroniques, des téléphones portables et des équipements numériques fournis grâce au sponsoring des sociétés de télécommunications WIND et COSMOTE ainsi que de la Fondation culturelle et caritative à but non lucratif AEGEAS. EDOEAP, la Caisse d’assurance pour les soins de santé des journalistes, a fourni 87 sacs de premiers secours entièrement équipés de matériel médical et hygiénique. La JUADN a acheté des sacs de couchage, des sacs à dos et des masques de protection Covid-19 grâce au soutien financier du syndicat des journalistes PFJU. Nous avons versé 2000 euros en espèces au Fonds de sécurité de la FIJ/FEJ et AEGEAN Airlines a couvert les frais de transport aérien pour l’aide humanitaire ainsi que les billets d’avion.

FIJ : Quel message aimeriez-vous transmettre aux journalistes du monde entier désireux d’aider leurs collègues en Ukraine ?

Nous, les journalistes, formons tous une famille. Toutes les familles sont confrontées à de bons et de mauvais moments. La solidarité est ce qui nous unit, peu importe notre origine, notre orientation politique, la couleur de notre peau, notre religion. Les journalistes réussissent à surmonter tous ces problèmes. Je lance un appel à la coopération et je demande à tous les collègues d’aider les journalistes ukrainiens à traverser ces moments difficiles. Ouvrez vos bras, vos âmes, vos cœurs et collaborez avec la FIJ pour soutenir nos collègues.

FIJ : Participez-vous à d’autres initiatives liées à l’Ukraine ou à d’autres pays ?

J’espère que nous n’aurons pas à intervenir à nouveau dans le cadre d’une initiative similaire. Je suis issue d’une famille de réfugiés. Mes grands-parents ont fui la Turquie en 1922. Je sais ce que c’est que d’être réfugié depuis le jour de ma naissance. Si nous sommes invités à prendre d’autres initiatives, y compris en offrant l’hospitalité, nous contacterons les entités publiques et privées qui ont l’habitude de nous aider et nous le ferons. Je tiens à préciser que, par le passé, la JUADN et la municipalité d’Athènes ont accueilli les enfants de nos collègues serbes en colonie de vacances juste après la guerre. Ces dernières années, à la demande de la FIJ et de la FEJ, nous avons soutenu des collègues turcs en leur offrant des soins médicaux, un logement et une assistance spéciale similaire à celle fournie aux membres de notre syndicat. Au cours des cinq derniers mois, nous avons pris en charge deux familles de femmes journalistes afghanes et, sur décision unanime du conseil d’administration, nous accordons à chaque famille une aide financière de 500 euros par mois financée par notre Fonds spécial de solidarité. EDOEAP, notre Caisse d’assurance pour les soins de santé et les assurances complémentaires des journalistes, fournit les soins médicaux aux familles ; certains anciens membres du Conseil d’administration ont contribué à l’achat de vêtements pour ces femmes et leurs enfants.

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