Afghanistan : "Nous avons reçu des centaines de demandes d'aide"

"Nous avons eu le cas d'une famille menacée à qui l'on a dit que la seule façon d'être laissée en paix était que leur fille - une journaliste - épouse le commandant taliban local." Alors que les talibans contrôlent désormais le pays, le suivi de la situation sur le terrain par la FIJ et les nombreuses demandes de soutien d'urgence révèlent la panique et la peur au sein de la communauté des médias afghans. Jeremy Dear, Secrétaire général adjoint de la FIJ, coordonne la réponse d'urgence face à la situation en Afghanistan. Il nous parle de la situation sur le terrain et de la manière dont la fédération et ses affiliés locaux aident les journalistes dans le besoin.

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Une fille court vers une navette de l'aéroport alors que des personnes débarquent d'un avion de transport militaire de la Royal Air Force qui transporte des personnes évacuées d'Afghanistan et arrivant à l'aéroport international d'Al-Maktoum, aux Émirats arabes unis, le 19 août 2021. Crédits: Giuseppe CACACE / AFP

Comment décririez-vous la situation des journalistes et autres professionnels des médias en Afghanistan actuellement et quelles informations recevez-vous de la part des journalistes afghans?

J.D: C'est une période incroyablement difficile pour les professionnels des médias. Beaucoup craignent pour leur vie, des centaines ont fui ou tentent de quitter le pays, les femmes journalistes sont empêchées de travailler, certains médias ont été contraints de fermer. Dans le même temps, d'autres essaient de continuer à travailler comme journalistes, mais avec une menace qui pèse et ils se trouvent sévèrement restreints sur ce qu'ils peuvent couvrir. Malgré la propagande selon laquelle il n'y aurait pas de vengeance de la part des talibans, des rapports font état de fouilles au porte-à-porte de journalistes et de menaces contre nombre d'entre eux.

Que signifie la prise de pouvoir par les talibans pour la presse ? Pouvons-nous faire confiance à leurs promesses de respecter la liberté de la presse ? Nous avons entendu dire que TOLO, une chaîne d'information indépendante, était toujours en activité à Kaboul par exemple.

J.D: Nous devons prendre ces promesses avec une grande prudence. Il y a encore des médias en activité, mais même pour eux, on ne sait pas quelles seront les règles. Qu'est-ce qu'un journalisme fondé sur les principes de la charia ? Qu'est-ce qu'un journalisme indépendant lorsque les talibans vous disent ce que vous pouvez ou ne pouvez pas rapporter et qui peut ou ne peut pas travailler ?

Des rapports mentionnent que certaines femmes à Kaboul ont été renvoyées chez elles par les talibans alors qu'elles se rendaient au travail et qu’elles sont nombreuses à craindre pour leur vie dans tout le pays. Que vous disent les femmes journalistes ?

J.D: Les femmes journalistes ont particulièrement peur. Beaucoup ont été empêchées de travailler et beaucoup se cachent actuellement. Parmi les journalistes qui tentent de fuir le pays, la majorité sont des femmes. Nous avons eu le cas d'une famille menacée à qui l'on a dit que la seule façon d'être laissée en paix était que leur fille - une journaliste - épouse le commandant taliban local.

Comment nos affiliés afghans AIJA et ANJU font-ils face à la situation ? Sont-ils également menacés ?

J.D: Les organisations qui soutiennent les journalistes sont confrontées à d'énormes difficultés, car elles doivent elles-mêmes faire face au danger. Il est difficile de faire entrer de l'argent dans le pays pour les aider à soutenir les centaines de personnes qui ont besoin d'un passage sûr, d'une maison sûre, de nourriture, d'un abri, de connexion Internet, etc. Et elles sont submergées de demandes d'aide. Malgré cela, il y a ceux et celles qui, à l'instar de nos collègues de l'AIJA, travaillent jour et nuit pour apporter le soutien qu'ils peuvent et nous sommes déterminés à les aider.

Pouvez-vous décrire le travail de la FIJ pour aider les journalistes sur le terrain ? Avez-vous reçu de nombreuses demandes d'évacuation ?

J.D: Nous avons reçu des centaines de demandes d'aide - soit pour une évacuation, soit pour une assistance à ceux et celles qui se sont déplacé.e.s d'une province afghane à une autre pour échapper aux menaces.

Nous travaillons à plusieurs niveaux : nous aidons à traiter et à vérifier chaque demande d'aide, nous rencontrons les gouvernements et d'autres acteurs susceptibles d'offrir un passage sûr et l'asile aux personnes en fuite, nous travaillons avec nos collègues pakistanais pour aider les journalistes à obtenir des visas spéciaux et à survivre une fois arrivés au Pakistan, nous faisons pression sur les gouvernements pour qu'ils acceptent davantage de personnes et nous les aidons à se rendre à l'aéroport, nous collectons des fonds pour fournir une aide humanitaire et assurer la solidarité avec les personnes sur le terrain, nous développons des espaces sûrs où nos collègues peuvent être accueilli.e.s, avoir accès à Internet, se nourrir et s'abriter. Beaucoup de nos affiliés font également pression et négocient directement avec les employeurs des médias internationaux pour mettre leur personnel en sécurité.

Comment voyez-vous l'évolution de la situation sur le terrain pour la presse dans les prochains jours ?

J.D: Les prochains jours sont cruciaux pour le plan d'évacuation - personne ne sait combien de temps les troupes américaines peuvent rester à l'aéroport et une fois qu'elles l'auront quitté, cette route sera fermée à la majorité. Pour les médias qui continuent à travailler, des discussions sont en cours avec les talibans pour essayer de comprendre ce que leurs annonces signifient en matière de fonctionnement des médias - quels sujets sont interdits, quelles photos peuvent être publiées, les femmes peuvent-elles travailler? D'autres qui ont fui vont commencer à mettre en place des solutions pour travailler en exil, mais beaucoup d'entre eux auront besoin du soutien de la communauté internationale pour aider à financer les petits médias afin de leur permettre de continuer à couvrir ce qui se passe en Afghanistan. Nous faisons pression sur les donateurs et les gouvernements pour tenter d'obtenir des fonds afin de permettre aux médias de continuer à travailler.

Que peuvent faire les affiliés de la FIJ et leurs membres pour aider leurs collègues afghan.e.s et assurer leur sécurité?

J.D: Si vous recevez des demandes d'assistance, veuillez les transmettre à la FIJ afin que nous puissions coordonner les appels aux gouvernements. Faites pression sur vos propres gouvernements pour leur demander d'accepter d'offrir un refuge sûr aux journalistes contraint.e.s de fuir et à leurs familles – ce qui inclut de les aider à subsister pendant leur séjour dans le pays d'accueil. Il est important que cette mesure ne soit pas limitée aux seul.e.s journalistes qui travaillaient pour les médias nationaux du pays d'accueil, mais qu'elle soit également ouverte à tous les journalistes afghan.e.s.

Si les affiliés le peuvent, aidez-nous à soutenir le fonds spécial que nous avons créé. La réponse a été extraordinaire, mais nous avons besoin de davantage de fonds. Partagez cet appel avec vos filiales et les organisations locales qui pourraient également être en mesure de contribuer. Demandez également à votre gouvernement de verser des fonds.

For more information, please contact IFJ on +32 2 235 22 16

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