Procès Assange: Une victime de torture témoigne

Les avocats représentant le gouvernement américain se sont battus pendant des jours pour empêcher que Khaled El-Masri ne témoigne dans le cadre des audiences d’extradition de Julian Assange. Lorsque celui-ci a finalement été entendu par la cour la semaine dernière, on a très bien compris pourquoi. Suivez les audiences d’extradition de Julian Assange à Londres avec Tim Dawson, représentant de la FIJ.

[Translate to French:] Demonstrators protest outside of the Old Bailey court in London where the extradition hearing against Julian Assange takes place. Credits: TOLGA AKMEN / AFP

Des manifestants protestant devant la cour criminelle de l’Old Bailey à Londres, où se déroulent les audiences d’extradition de Julian Assange. Crédits : TOLGA AKMEN / AFP

L’employé de magasin allemand a subi des traitements atroces de la part de la police macédonienne et de la CIA. Il a été détenu en secret pendant des mois et torturé avant d’être relâché au bord d’une route dans un pays où il ne s’était jamais rendu. Il aura fallu un journaliste d’investigation déterminé, les révélations de Wikileaks et neuf ans pour établir les faits.

Lorsque ce fut le cas, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que Khaled El-Masri avait été « sévèrement battu, enchaîné, sodomisé, cagoulé et soumis à une privation sensorielle totale par des fonctionnaires macédoniens ». La Cour a ainsi jugé que les faits étaient établis au-delà de tout doute raisonnable.

Cependant, les États-Unis ont balayé toutes les tentatives pour les obliger à rendre des comptes sur les cinq mois durant lesquels la CIA a torturé secrètement le ressortissant allemand. Actuellement, une enquête est menée par la Cour pénale internationale de la Haye (CPI) sur cette affaire, laquelle pourrait faire l’objet d’un procès plus tard dans l’année. En réaction à cette décision, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo s’est insurgé contre la Cour et a prononcé des sanctions contre ses hauts responsables en raison de ses « tentatives illégitimes pour soumettre les américains à sa juridiction ».

Khaled El-Masri a grandi au Liban puis, durant la guerre civile qui a déchiré le pays dans les années 1980, a obtenu l’asile politique en Allemagne alors qu’il avait la vingtaine. Il est ensuite devenu citoyen allemand, s’est installé dans la ville d’Ulm, s’est marié et a fondé une famille.

En 2003, probablement suite à une dispute avec son épouse, il a décidé d’effectuer un bref séjour à Skopje en Macédoine du Nord. Alors qu’il prenait le bus pour rentrer chez lui, il a été arrêté par la police macédonienne, qui l’a confondu avec un individu suspecté d’appartenir à Al-Qaïda portant un nom très similaire et ayant des relations en Allemagne.

Le ressortissant allemand a été détenu en secret par les forces de sécurité macédoniennes pendant vingt-trois jours avant d’être livré à la CIA. Des agents des services secrets américains l’ont ensuite déshabillé, lui ont bandé les yeux et l’ont drogué puis l’ont attaché, bras et jambes écartés, au plancher d’un avion en direction de l’Afghanistan.

Lors de son témoignage devant la cour, Khaled El-Masri a déclaré : « J’étais constamment interrogé et détenu dans une cellule froide en béton avec pour seuls objets une couverture sale et fine ainsi qu’un seau pour y faire mes besoins. J’ai été humilié, déshabillé et menacé ». Il apparaîtra plus tard qu’il était détenu à Salt Pit, l’un des « sites noirs » de la CIA.

Durant sa détention, Khaled El-Masri a entamé une grève de la faim. Après trente-quatre jours, il a été attaché à une chaise et alimenté de force par le nez.

Après quatre mois de traitements inhumains, il semble que les Américains ont finalement réalisé leur erreur. Le 28 mai, le citoyen allemand, à nouveau les yeux bandés et menotté, a été embarqué à bord d’un avion où il a été attaché à un siège. Bien qu’il l’ignorait à ce moment, il s’envolait pour l’Albanie.

« J’ai été mis à l’arrière d’un véhicule qui a commencé à emprunter des routes de montagne. Le véhicule s’est finalement arrêté, puis l’on m’en a fait sortir et l’on m’a retiré mes menottes. Des hommes m’ont donné ma valise et mon passeport et m’ont ensuite ordonné de marcher le long de la route sans faire demi-tour. »

Khaled El-Masri pensait qu'on allait lui tirer dans le dos et a été surpris de tomber sur un groupe d’individus armés au détour d’un virage. Ils lui ont demandé son passeport et la raison pour laquelle il se trouvait en Albanie sans visa.

Le principal intéressé est ensuite parvenu à rentrer miraculeusement en Allemagne. Cependant, son calvaire était loin d’être terminé. Après autant de temps sans nouvelles, sa femme, persuadée qu’il l’avait abandonnée, était retournée au Liban. De plus, convaincre quelqu’un de ce qu’il avait subi durant ces cinq mois d’absence allait s’avérer ardu.

John Goetz, qui travaillait alors pour NDR (le service audiovisuel public allemand), figurait parmi les reporters d’investigation contactés par le ressortissant allemand. « Lors de notre première rencontre, très peu de personnes croyaient à l’histoire de M. El-Masri. La Macédoine elle-même niait toute connaissance de sa détention, tandis que les Américains ne donnaient aucune information à ce sujet », a-t-il affirmé devant la cour la semaine dernière.

Le journaliste a commencé à éplucher méticuleusement les plans de vol pour corroborer les propos de Khaled El-Masri. Il a pu non seulement y trouver les vols concernés, mais également le nom des treize agents de la CIA qui l’avaient maintenu prisonnier.

« J’ai moi-même frappé à des portes dans différents pays puis finalement aux États-Unis, où j’ai découvert les agents concernés et leur ai posé des questions concernant leur rôle dans cette affaire », a déclaré John Goetz à l’Old Bailey.

En janvier 2007, le procureur de Munich a délivré des mandats d’arrêt contre treize personnes dans le cadre de l’enlèvement du citoyen allemand. Toutefois, pour des raisons incompréhensibles à l’époque, le gouvernement allemand a décidé de ne pas demander l’extradition de ces individus.

« Lorsque les télégrammes diplomatiques (obtenus par Wikileaks) ont été révélés au grand jour pour la première fois, El-Masri” a été le premier terme que j’ai recherché », a expliqué John Goetz. Ces câbles ont ainsi dévoilé la pression intense exercée par les diplomates américains sur Angela Merkel, la chancelière allemande. « Il y aura de lourdes conséquences sur les relations germano-américaines si (les mandats sont décernés) », l’ont-ils mise en garde.

Khaled El-Masri s’est également heurté à un simulacre de justice de l’autre côté de l’Atlantique, où l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a porté plainte contre le gouvernement américain en son nom. Lorsque le citoyen allemand et son avocat sont arrivés sur le sol américain pour témoigner, l’accès au territoire leur a été refusé. Leurs déclarations ont finalement été entendues par vidéo, mais le juge a rejeté la plainte car elle « présenterait un grave risque pour la sécurité nationale ».

L’avenir nous dira si l’histoire de Khaled El-Masri et la dissimulation de celle-ci convaincront la juge Baraitser de rejeter la demande d’extradition de Julian Assange. Les délibérations de la CPI appartiennent aussi à l'avenir.

La gratitude du citoyen allemand envers Wikileaks ne fait quant à elle aucun doute. « Ces télégrammes rendus publics en septembre 2011 ont révélé pourquoi, pendant toutes ces années, l’on a pu nier et ignorer ma souffrance et pour quelles raisons les mesures qui auraient dû être prises contre les responsables de ces actes ne l’ont pas été. »

Tim Dawson

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