Les journalistes condamnent le secret dans les négociations sur le commerce en Amérique : "Une menace pour les fondements de la démocratie"

LE PLUS important groupe de journalistes mondial, la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), a condamné aujourd'hui le "sinistre procédé de secret" qui a exclu les groupes de la société civile et les citoyens des négociations sur un nouvel accord commercial entre 34 pays et qui sera débattu lors du Sommet des Amériques à Québec, la semaine prochaine.

La Zone de Libre-Echange des Amériques (ZLEA) est le nom donné à l'extension de l'Accord de Libre-Echange Nord-Américain (ALENA) à tous les pays du continent américain à l'exception de Cuba. Avec plus de 800 millions d'habitants et un PIB de 11 trillions de US$, la ZLEA serait la plus grande zone de libre-échange du monde.

Dans un communiqué publié aujourd'hui et relayé par ses membres du continent américain, la FIJ a déclaré que ce nouvel accord sera "une charte en faveur de la combinaison des pouvoirs étatiques avec celui groupes multinationaux, ce qui constitue une menace pour les droits fondamentaux de millions de personnes sur le continent américain et un frein aux programmes sociaux en faveur de la préservation de l'environnement et des ressources naturelles".

La FIJ accuse les gouvernements de négocier en secret au mépris des droits des citoyens. Dans un même temps, plus de 500 représentants de multinationales de la région ont bénéficié d'un accès privilégié aux documents de négociation de la ZLEA

"C'est un procédé honteux. L'accord de libre-échange le plus important du monde, dont la portée va concerner tous les aspects de la vie des citoyens des Amériques, a été négocié à l'abri de portes fermées", a déclaré Christopher Warren, le Président de la FIJ. "C'est une menace pour les fondements de la démocratie".

La FIJ demande que les négociations sur la ZLEA soient révisées en faveur d'un processus démocratique en accord avec des méthodes de gouvernance ouverte et respectueuses des préoccupations de tous. "Le débat sur le commerce international ne doit plus se tenir dans le cercle restreint des élites politiques protégées, des bureaucrates et des représentants du pouvoir des grands groupes", déclare la FIJ.

La FIJ, qui représente des syndicats et des associations dans plus de 100 pays, a déclaré que la ZLEA fait partie d'une nébuleuse de secret néfaste qui couvre les discussions commerciales internationales. En février, la FIJ a protesté auprès de la Banque Mondiale contre le manque de transparence dans son travail et le groupe régional de la FIJ en Europe, la Fédération Internationale des Journalistes, mène une campagne depuis des années pour mettre fin à l'opacité au sein des institutions de l'Union européenne.

"Le travail concernant le commerce et la politique internationaux est de plus en plus soumis à la confidentialité et aux négociations secrètes où le public n'a pas accès à l'information essentielle", déclare la FIJ.

Les associations de la FIJ et les syndicats de journalistes à travers l'Amérique Latine, les Etats Unis et le Canada vont se saisir de cette question pour protester auprès de leurs gouvernements respectifs à propos de la façon dont les négociations sur la ZLEA ont été menées. "Le danger est que la ZLEA va encourager le secret dans la vie publique et que l'emprise des multinationales sur nos vies n'en sera que renforcée", déclare la FIJ.

D'après le texte préparé pour les discussions de la semaine prochaine, il est probable que les groupes économiques pourront poursuivre les gouvernements de la région pour obtenir des compensations si la loi nationale nuit à leurs profits. De tels cas seront traités par des tribunaux internationaux en total secret, comme c'est le cas pour l'ALENA.

"La confidentialité protège l'intérêt commercial et elle peut aller jusqu'à constituer un gouvernement secret lorsqu'elle influence l'application de lois nationales".

La FIJ attire l'attention sur le fait que les lois nationales concernant la protection de l'environnement, les droits syndicaux et du travail, les services publics et l'héritage culturels sont mis en danger. Le multinationales attaquent les gouvernements pour pertes de bénéfices - même lorsque les lois protègent la santé des citoyens.

La FIJ reprend l'exemple de la "Ethyl Corporation", qui a utilisé les règles de l'ALENA pour attaquer le gouvernement canadien sur les restrictions de la production d'un additif à base d'éthanol, considéré dangereux pour la santé. La compagnie a perçu une compensation de 13 millions de US$ et le gouvernement canadien a dû lever l'interdiction.

Un autre cas en cours concerne la compagnie "United Parcel Service", qui conteste l'existence même d'un service postal financé par des fonds publics au Canada, au prétexte qu'il représente une compétition déloyale. Si la plainte est retenue, cela pourrait remettre en cause tous les services en compétition avec le secteur privé.

Malgré les déclarations des défenseurs de l'ALENA au début des années 90, selon lesquels l'ALENA rendrait les pays plus productifs, la seule conséquence a été de permettre aux grands groupes d'agrandir l'échelle de leurs opérations au dépens de l'intérêt public.

"La perspective d'une extension des pouvoirs dont jouissent les grands groupes dans l'ALENA à d'autres pays de la région est désastreuse", prévient la FIJ

La FIJ déclare que des liens plus étroits entre les pays des Amériques et de par le monde sont vitaux, mais qu'ils ne doivent pas être fondés sur les raisonnements et les objectifs de la ZLEA. Un système commercial mondial fondé sur la démocratie, la soutenabilité, la diversité et le développement doit être une priorité. Mais d'abord "il est temps pour les gouvernements de s'ouvrir à l'examen public et de rendre la démocratie au peuple".