#IFJTunis Philippe Leruth: "L'avenir de la FIJ est entre vos mains "

Philippe Leruth a prononcé aujourd'hui son dernier discours en tant que président de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) devant les 254 délégués réunis au Congrès mondial à Tunis.

Chères consœurs, chers confrères, Chères amies, chers amis,

Je veux tout d’abord vous souhaiter la bienvenue à Tunis pour ce premier congrès de la Fédération Internationale des Journalistes organisé sur le continent africain et dans le monde arabe. C’est donc un congrès qui marquera l’histoire de la FIJ, mais ce ne sera pas un congrès passéiste bien au contraire: la réflexion sur le journalisme à l’ère du numérique porte sur l’avenir d’une profession confrontée à l’irruption sur le Web de nombreux prétendus journalistes face auxquels les journalistes professionnels doivent se distinguer par leur rigueur et leur fiabilité. D’oú notamment la mise à jour de notre charte éthique, fruit d’un travail collectif dont je remercie les auteurs.

Nous sommes ici les hôtes du Syndicat national des journalistes tunisiens auquel, en votre nom à toutes et à tous, je veux exprimer notre reconnaissance.

 L’organisation d’un congrès représente une tâche immense, et nos amis du SNJT s'y sont attelés avec énergie: la confiance unanime que le comité exécutif de la FIJ leur a accordée en avril 2017, lors de sa réunion de Moscou, était bien placée. Le comité exécutif de la FIJ voulait par là exprimer son soutien à l’evolution favorable de la liberté de la presse (son seul agenda politique) dans un pays où est né le printemps arabe et qui lui a donné une suite favorable, même il reste bien sûr nombre de problèmes à résoudre.

Chères consœurs, chers confrères,Chères amies, chers amis

Le congrès trisannuel de la FIJ remplit une double fonction. Il permet au comité exécutif sortant de rendre compte de sa gestion, et il trace les grandes lignes de travail du futur comité exécutif de la FIJ pour les trois années à venir.

Les rapports qui ont été mis à votre disposition dressent déjà largement le bilan de ces trois années. Je ne vais pas revenir en détail sur tout ce que ces documents contiennent, mais en souligner divers aspects en répondant à une simple question: la Fédération Internationale des Journalistes, dont je vais remettre la direction, est-elle en meilleur état que celle dont j’ai pris la direction il y a trois ans?

Au niveau africain, la réponse est incontestablement positive.

Vous vous en souvenez, en 2016, les syndicats-membres africains de la FIJ étaient profondément divisés, et je m’étais fixé parmi mes objectifs prioritaires de les rassembler à nouveau. Surtout après la décision de tenir ce congrès en Tunisie: la Fédération Africaine des Journalistes ne pouvait s’y présenter divisée.

Le processus a été long et a mobilisé beaucoup d’énergies. Il m’a fallu expliquer à des amis, qui m’avaient soutenu à Angers, qu’une fois élu avec leur concours, je devenais le président de tous les syndicats-membres de la FIJ, qu’ils aient ou non appuyé ma candidature, et que c’était la condition première  pour dégager un compromis.

Il a fallu aussi le concours de nombreuses bonnes volontés. Notamment celles des membres africains du comité exécutif de la FIJ, et des collègues du Syndicat National de la Presse Marocaine, qui ont mis sur pied une réunion de conciliation qui a permis de faire un grand pas en avant.

Le congrès de Khartoum, en décembre dernier, a couronné ces efforts: 32 des 36 syndicats-membres de la FIJ y ont adhéré ou y ont participé. Et l’élection du nouveau comité directeur de la FAJ a manifesté que la réconciliation en Afrique était un fait acquis.

Autre acquis important, nous avons pu faire entendre la voix de la FIJ aux Nations-Unies pour y dénoncer, avec des partenaires que nous avons fédérés sur ce sujet (Union Européenne de Radiodiffusion, Association européenne des télés commerciales, association mondiale des éditeurs de journaux, Fédération internationale des  syndicats représentant les travailleurs des secteurs des médias, du divertissement, des arts et des sports) l’impunité scandaleuse dont bénéficient les assassins de journalistes.

En 2016, année du congrès d’Angers, 93 journalistes ont été assassinés dans le monde. Depuis lors, les noms de 192 consoeurs et confrères victimes de tueurs se sont ajoutés à cette liste, dont 16 depuis le début de cette année.JE VOUS DEMANDE DE RESPECTER QUELQUES INSTANTS DE SILENCE EN LEUR MÉMOIRE

J’ajoute à cet hommage les noms de Sofien Chourabi et Nadhir Ktari, nos confrères tunisiens disparus en Lybie et celui d’Istac Mokhtar, journaliste mauritanien disparu en Syrie avec son cameraman libanais, Samir Kassab, et son chauffeur syrien. 

J’y joins aussi les journalistes italiens qui vivent sous protection policière permanente face aux menaces de mort mafieuses qui les visent et je dénonce la volonté du ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini de leur retirer ce qu’il appelle un privilège.  

J'ai également une pensée pour tou(te)s les journalistes détenu(e)s dans le monde simplement parce qu'ils (elles) remplissent leur mission : leur liste est hélas bien trop longue pour que je puisse citer tous leurs noms ici. Je mentionnerai simplement, à titre d’exemple, celui de Mahmoud Hussein, journaliste d’Al-Jazeera, détenu en Égypte depuis plus de huit cents jours

Tous les journalistes assassinés ne meurent pas dans des pays en guerre, loin s'en faut: neuf journalistes assassinés sur dix sont des journalistes locaux. Et surtout neuf assassinats de journalistes sur dix restent impunis dans le monde. Si leur mort est un scandale en soi, l'impunité de leurs assassins en est un, bien plus grand encore

La FIJ a entamé la lutte contre cette impunité inacceptable depuis le colloque qu’elle a tenu à ce sujet à Bruxelles en novembre 2016. C’est de là qu’est né le projet de convention que nous voulons voir adoptée par les Nations-Unies.

C’est un texte remarquable, rédigé par la Pr Carmen Draghici de l’université de Londres que je remercie chaleureusement pour son engagement à nos côtés. Il veut que soit reconnue la spécificité des journalistes comme cibles d’assassins potentiels et pour que des enquêtes sérieuses soient menées sur tous les assassinats de journalistes.

Nous ne sommes pas naïfs: cela ne suffira pas à arrêter le bras de tous les assassins de journalistes. Et nous savons que des bâtons peuvent être mis dans les roues de nombre d’enquêteurs. Mais si nous parvenons à faire baisser ce taux d’impunité des assassins de journalistes, au moins justice sera-t-elle rendue à un certain nombre de leurs victimes. Et si cela permet d’épargner ne fût-ce qu’une seule vie de journaliste par an, ce travail n’aura pas été vain.

Reste à obtenir le soutien des États à ce texte: certains gouvernements l’ont déjà exprimé comme le gouvernement tunisien, que je remercie; l’Autorité palestinienne qui est à la tête d’un groupe imposant de près de 140 États ou encore le gouvernement du Maroc, qui préside l’Union africaine. L’Italie, le Mexique, le Pakistan et le Pérou l’ont fait eux aussi. Mais il faut rallier plus de pays encore: ce sera l’objet d’une des motions présentées à ce congrès par le comité exécutif de la FIJ qui vous incitera à vous mobiliser toutes et tous dans vos pays respectifs,pour convaincre vos gouvernements de la justesse et de la nécessité de ce combat.

Autres motifs de satisfaction de ces trois années de mandat, d’abord la ratification de la Déclaration sur liberté des médias dans le monde arabe, par six pays dont la Tunisie, et, il y a deux semaines, la Mauritanie, le dernier pays en date.

Là aussi, c’est une initiative de la FIJ avec ses syndicats-membres du monde arabe. Ce texte mérite d’être lu: il postule un certain nombre d’engagements dans le chef des États, mais place aussi les employeurs et les journalistes devant leurs responsabilités respectives.

Sur le plan interne, je relèverai aussi la stabilisation des bureaux régionaux de la FIJ notamment à la suite de situations problématiques dont nous avons hérité et qui ont mené à Buenos-Aires à une dépense lourde et inattendue

Un bilan comporte aussi un passif

En Europe, nous n’avons pas réussi à renouer le fil avec un syndicat-membre important. Et sur ce plan, j’ai eu plus d’une fois le sentiment de prêcher dans le désert et même parfois que des inimitiés personnelles venaient compliquer un problème né de divergences politiques auxquelles se sont ajoutées des difficultés financières du syndicat en question.

Je reste pour ma part convaincu que, surtout dans sa situation financière, la FIJ aurait tout à perdre d’une rupture avec un de ses membres qui, même avec une cotisation réduite de moitié, resterait son cinquième ou sixième bailleur de fonds en importance.

Car le point préoccupant de notre bilan reste la situation financière de la FIJ.

Pour rappel, il y a trois ans, cette situation nous avait été décrite comme « fragile ». Elle l’était tellement que dès sa première réunion, quelques mois plus tard, le comité exécutif adoptait un plan de stabilité présenté par le secrétaire général qui incluait la réduction du temps de travail et de la rémunération du personnel.

Je veux ici souligner l’engagement sans faille du personnel tant de Bruxelles que des bureaux régionaux pour la défense des droits des journalistes dans le monde, et je veux en remercier très chaleureusement tous ses membres en votre nom. Il est difficile quand on ne les côtoie pas de près de mesurer l’énergie à la tâche déployée par toutes et tous les membres de notre personnel.

Ce plan de stabilité  passait aussi par un réajustement des contributions continentales qui avaient spectaculairement augmenté avant notre entrée en fonctions. Il nous a permis de clôturer les exercices 2017 et 2018 dans le vert. Mais en fin d’année dernière, le secrétaire général nous a signifié qu’il ne suffirait plus à l’avenir.

C’est donc un plan de survie qui a été adopté par le comité exécutif lors de sa dernière réunion, et qui met une nouvelle fois notre personnel sous pression, puisque les frais de personnel constituent l’essentiel de nos dépenses que nous avons par ailleurs gardées strictement sous contrôle.

Mais ce plan prévoit aussi une augmentation des recettes, et notamment de nos recettes de cotisations.

Cet effort a déjà été entrepris depuis plus de deux ans par le trésorier et par le personnel et il s’est révélé payant. Je les remercie également pour tout ce travail. Mais il en faut plus.

Chers consœurs, chers confrères,Chères amies, chers amis,

Le comité exécutif de la FIJ, son comité administratif et notamment son trésorier et les secrétaires généraux sont chargés de la gestion de la FIJ, MAIS C'EST VOUS QUI AVEZ L’AVENIR DE LA FIJ DANS VOS MAINS


Pardonnez mon ton un peu direct, mais la FIJ est une vieille dame de 93 ans et sa santé est défaillante. Nous devons tous l’aider à se rétablir.

Ce que nous avons constaté ces dernières années , c’est une érosion constante des recettes, tant des cotisations que des projets. Et cela relève aussi de vos responsabilités de membres.

Des projets, vous pouvez, vous devez aider à en trouver avec des pistes de financement, plutôt que d’attendre qu’un projet tombe du ciel.

Je parle d’expérience : j’ai déniché moi-même un financement en Belgique pour un projet de formation des journalistes à la couverture d’une campagne électorale mené il y a quelques mois en RD du Congo. Et la réussite de ce programme nous permet d’espérer d’autres financements de la même autorité.

Réduction des cotisations : les réductions du nombre de leurs membres annoncées par certains de nos importants syndicats-membres, sont compréhensibles. Car la crise des médias se traduit par une réduction du nombre de journalistes. Mais elle doit aussi les stimuler à recruter de nouveaux membres, et certains le font : au Danemark, la tendance s’est inversée cette année...

Par contre,et je l’ai déjà dit plus d’une fois publiquement: je ne peux concevoir que des syndicats et associations de journalistes ne perçoivent aucune cotisation auprès de leurs membres.

La défense professionnelle et syndicale de nos droits est toujours passée par la mise en commun des moyens, aussi faibles soient-ils. NOUS DEVONS EN REVENIR AUX PRINCIPES DE BASE DE NOTRE ACTION. Un syndicat qui dépend totalement de financements extérieurs, de la FIJ ou de projets, ne peut se prétendre ni indépendant ni représentatif s’il ne réclame pas une cotisation minimale à ses membres.

Je souhaite donc que ce congrès soit doublement historique : d’abord parce que, je le répète, il est le premier à se tenir sur le continent africain et dans le monde arabe. Ensuite, je l’espère, parce qu’il amorcera le redressement de la FIJ en tant qu’institution

Chères consœurs, chers confrèresChères amies, chers amis,

Au moment de conclure, permettez-moi de brèves considérations personnelles

Cela a été pour moi un honneur de vous présider pendant trois ans. Et au cours de ces années, j’ai rencontré un certain nombre d’entre vous dans leur pays, et j’ai pu mesurer combien sous toutes les latitudes, vous vous engagez pour la défense des droits des journalistes.

Je ne brigue pourtant pas un second mandat, d’abord parce que vous vous en souvenez,à Angers, je ne m’étais porté candidat que pour un seul mandat, et j’ai pour habitude de respecter mes engagements.

Ensuite, je vois se rapprocher le jour où je quitterai ma profession de journaliste. Et il n'est pas bon qu'un journaliste retraité préside leur Fédération internationale.

Enfin et surtout, il est toujours préférable de quitter un mandat quand on souhaite toujours exercer: c’est en principe une garantie qu’on l’assume jusqu’au bout de son mieux. J’espère y être arrivé.

Je déclare maintenant ce congrès de Tunis officiellement ouvert. Et nous souhaite à toutes et à tous d’en faire une pleine réussite.



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