Droits d’auteur: le VADEMECUM du négociateur, SNJ



Il n’est pas possible de rédiger un accord-type en matière de droits d’auteur, tant en raison de la disparité des situations que du caractère très évolutif de la situation. En revanche, ce vade-mecum du négociateur devrait permettre de gagner du temps et d’éviter certains pièges dans la négociation, par nature très différentes de celles auxquelles les délégués du SNJ sont habitués, car ce sujet ne relève pas exclusivement du droit du travail.

Compte tenu de l’extrême technicité de la question des droits d’auteur, il est recommandé d’éviter de longues discussions en séance. Les délégués ont tout intérêt à travailler hors séance sur des documents fournis par la direction, à demander les explications nécessaires lors de la reprise, et, ultérieurement, si nécessaire, à fournir leurs propres contre-propositions, sans se lancer, du moins au stade initial, dans des discussions techniques où le risque de se faire piéger est très élevé.

Ce document d’aide à la négociation reprend la structure habituelle des accords proposés à la signature. Dernière recommandation : après trois ou quatre années de silence, certains éditeurs se découvrent soudainement un besoin urgent de signer un accord en quelques jours. Rien ne presse : il faut prendre tout le temps d’examiner les propositions de la direction et de les soumettre pour avis au SNJ national avant d’aller plus loin.

Préambule
Le préambule énonce généralement l’intérêt que les parties trouvent à conclure un accord sur les droits d’auteurs. Les premiers accords juxtaposaient la position de principe des éditeurs et celle des journalistes avant de convenir de passer outre leurs désaccords. Les tribunaux ayant tranché de manière claire et sans ambiguïté en faveur des journalistes, ces prises de position théoriques n’ont plus lieu d’être. En particulier, les délégués SNJ doivent refuser absolument de signer un document qui comporterait la moindre référence à la notion d’œuvre collective. L’argumentation nécessaire pour le refuser se trouve dans les décisions des TGI et de cour d’appel de Lyon et Paris dans les affaires contre Le Progrès et Le Figaro. Ce doit être considéré par nos délégués comme un cas de rupture.

Objet et périmètre de l’accord
L’objet de l’accord doit impérativement mentionner la cession des droits patrimoniaux par le journaliste en faveur de son employeur aux conditions énumérées dans l’accord. C’est la condition sine qua non pour qu’il soit bien question de droits d’auteur. L’étendue territoriale et temporelle de la cession doit être précisée.

Les éditeurs tendent à faire signer un accord au profit de leur groupe de presse, voire d’une alliance de groupes de presse. L’accord doit impérativement se référer à une publication, ou, le cas échéant, à un ensemble de publications limitativement énoncées et ne jamais prendre en compte des publications qui s’ajouteraient après la signature de l’accord, sauf signature par les parties d’un avenant. En particulier, en l’état actuel des choses, toute référence à une syndication des contenus doit être écartée (voir plus loin).

L’accord doit comprendre aussi bien la publication sur Internet que les réutilisations papier. Il doit distinguer au moins trois cas de figure : la réexploitation en internet, par l’entreprise de presse (web, archives, ou réédition), la confection de produits dérivés spécifiques (livres, CD ROM, DVD, etc.), et la cession à des tiers. Dans ce dernier cas, il ne saurait y avoir de cession générale a priori sans garde-fous concernant notamment le respect du droit moral de l’auteur. en tout état de cause, se méfier des cessions en cascade et prévoir des mécanismes séparés pour chaque cession, interdisant notamment au tiers cessionnaire de pouvoir, à son tour, céder l’oeuvre journalsitique.


Le droit moral
Le droit moral comprend le respect à l’intégrité et à la paternité de l’œuvre (respect de la signature et pas de déformation par des coupes ou modifications abusives), mais aussi à l’image de l’auteur. Il comprend aussi le droit au retrait, mais l’auteur doit, en ce cas, indemniser son employeur. La cession à un support qui, par sa nature, porterait atteinte à la réputation de l’auteur serait une grave violation de son droit moral, qui est par nature incessible et inaliénable. Il ne suffit pas que l’accord précise que le journaliste conserve son droit moral, ce qui est dans la loi : il faut que l’accord prévoie des mécanismes de mise en œuvre de ce droit moral. Par ailleurs, on peut utilement s’inspirer d’une solution retenue dans plusieurs accords déjà signés : la rédaction d’une charte déontologique relative à la réexploitation, notamment par des tiers, des œuvres journalistiques, annexée à l’accord.

L’assiette et le taux
Le principe général énoncé par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est la proportionnalité aux recettes. Toutefois, le CPI prévoit, dans le cas de la presse, la possibilité (mais pas l’obligation) d’une rémunération forfaitaire. Un panachage des deux est tout à fait envisageable. En tout état de cause, l’assiette de référence doit être le chiffre d’affaires (ou les recettes) à l’exclusion du bénéfice d’exploitation. Il ne s’agit en aucun cas d’une participation au profit qui rendrait inexistant le droit d’auteur dès lors que l’exploitation n’est pas bénéficiaire. Le droit d’auteur est une notion qui n’a rien à voir avec la participation, l’intéressement ou l’attribution d’une prime.

Choisir de préférence un chiffre d’affaires (ou recettes) brut. S’il est net, expliquer en détail dans l’accord ou ses annexes comment l’on passe du brut au net. La notion de « chiffre d’affaires net éditeur », souvent avancé, est particulièrement peu claire et propre à nourrir des conflits futurs. Les éditeurs refusent la plupart du temps d’inclure les recettes publicitaiures dans l’assiette en prétextant des raisons déontologiques. Il n’y a aucune raison pour les exclure. En toute hypothèse, plus l’assiette se réduit et plus le taux doit être élevé.

Le SNJ ne recommande aucun taux particulier : cela dépend des conditions locales. Il est utile, néanmoins de prévoir un à-valoir annuel fixe et non remboursable d’un montant qui, sans être nécessairement très élevé, ne soit pas ridicule. Cet à-valoir eput être complété par une rémunération proportionnelle.

Si le versement est assis sur les comptes de l’entreprises, prévoir un versement après la clôture des comptes de l’exercice précédent (généralement fin mars), du moins pour les droits proportionnels. Tout versement anticipé risquerait de ne pas prendre en compte la réalité des comptes de l’année pleine.

Les bénéficiaires
Le SNJ étant un syndicat de journalistes, il n’a pas qualité pour engager d’autres catégories d’auteur. Cela dit, certains auteurs ne sont pas journalistes et rien ne s’oppose à ce qu’un accord signé par d’autres syndicats, notamment confédérés, incluent d’autres catégories, à condition qu’ils soient effectivement auteurs. Il n’est pas question, au nom de la cohésion sociale, d’inclure des chauffeurs, standardistes, rotativistes ou autres dans un accord droits d’auteur. Le problème peut être résolu en parallèle par des accords d’intéressement ou des primes pour les non-auteurs. Tout le monde n’est pas auteur.

Certains éditeurs distinguent les « journalistes de plume » des journalistes non-écrivants (notamment les secrétaires de rédaction). La position du syndicat est qu’ils sont tous auteurs ou co-auteurs, dès lors que leur intervention influe sur le contenu de la copie. Cela s’applique aussi à la rédaction en chef ou aux responsables de service qui ont déterminé les contenus.

Enfin, un soin particulier doit être apporté à la prise en compte des pigistes, particulièrement vulnérables. En matière de droits d’auteur, il ne saurait être question de subordonner les droits à un niveau minimum de rémunération sur une période donnée ou à une ancienneté. Ces notions, courantes en droit du travail, n’ont rien à voir avec le droit de la propriété intellectuelle.

Le départ de l’entreprise ne prive aucunement les auteurs de leurs droits. Refuser toute clause par laquelle les droits resteraient acquis à l’entreprise après le départ de l’auteur-journaliste si la nécessaire contrepartie (versement des droits) n’existe plus.

La nature des versements
Contrairement à ce qu’ont prévu certains des premiers accords, il est essentiel de veiller à ce que les versements soient effectués en tant que « droits d’auteurs » et qualifiés comme tels, tant socialement que fiscalement. Bien que les journalistes soient salariés, rien ne s’oppose à ce que les sommes versées pour une réexploitation ne soient pas payées en salaires, mais en droits d’auteur, contrairement à ce qu’affirment certains. Cette position a été exposée sans ambiguïté aux pouvoirs publics par l’ensemble des syndicats de journalistes. Il ne faut pas sous-estimer, cependant, la crainte des employeurs d’un redressement Urssaf. Ce n’est pas une raison pour requalifier en salaire ce qui relève du droit d’auteur.

La somme versée en tant que droits d’auteur doit être distincte du salaire et faire l’objet d’une ligne à part sur la feuille de paie. La plupart des accords prévoient une répartition égalitaire et indifférenciée (mutualisation) entre l’ensemble des bénéficiaires. Cette pratique, à laquelle de nombreux confrères tiennent pour des raisons de solidarité, est néanmoins discutable du point de vue du droit de la propriété intellectuelle et ne tient pas compte du rôle individuel de l’auteur, le droit d’auteur étant un droit de la personnalité, d’essence individuelle.

Afin de concilier ces deux logiques, le Bureau national a adopté un objectif de principe : répartir les sommes en deux enveloppes : 60 % des sommes étant distribuées sur une base mutualisée et 40 % sur une base individuelle, en fonction des contribution effectives. Les modalités pratiques sont à définir au niveau des négociateurs, en liaison avec le national.

Reprographie
Pour l’instant, refuser à tout prix d’inclure les questions liées à la reprographie (photocopillage) dans les accords de droits d’auteur, sauf dans l’hypothèse d’une répartition 50/50 entre éditeur et journalistes.

La syndication
Elle consiste à céder à l’employeur le droit de céder à des tiers, éventuellement en cascade, les droits de reproduction des articles initialement rédigés pour cet employeur. Actuellement, la position du syndicat est de refuser toute syndication, sauf si l’on obtient des garanties sur le contrôle préalable des tiers concernés, par exemple par une annexe à l’accord listant, de façon exhaustive et limitativement, tous les supports auxquels l’entreprise envisage d’autoriser une reproduction.

Durée et suivi de l’accord
La durée optimale de l’accord est de deux ans. Eviter des durées plus longues (trois ans étant un maximum). Il est nécessaire de prévoir une clause contraignante obligeant à renégocier (éventuellement) ou proroger l’accord au moins trois mois avant la date d’expiration. Prévoir également des clauses contraignantes pour réunir à intervalle fixe une commission du suivi et fixer les documents qui devront lui être transmis. Prévoir également que cette commission puisse être réunie en cas de besoin à la diligence de l’une ou l’autre partie. Les comptes, visés par un commissaire au compte, seront remis aux représentants du personnel (par exemple quinze) jours avant la réunion.

Convention individuelle
En matière de droit de la propriété intellectuelle, un accord collectif n’est pas opposable à un auteur, s’il ne l’a lui-même ratifié. Il faut donc prévoir un acte d’adhésion individuel à cet accord. De préférence, sous la forme d’une convention individuelle et non d’un avenant au contrat de travail. Ceux qui refuseraient de le signer seraient exclus du bénéfice de l’accord et leurs œuvres seraient retirées des exploitations dérivées.


Et la SCAM ?
Le SNJ, comme l’ensemble des syndicats de journalistes, a opté pour la gestion collective des droits d’auteur au sein de la SCAM. A ce jour, cependant, seul un accord a été conclu à ce titre. Si les circonstances le permettent, faire adhérer l’ensemble de la rédaction à la SCAM dans la perspective d’un accord confiant à celle-ci la gestion des droits des journalistes. Dans ce cas, aux côtés des délégués syndicaux, la SCAM aura mandat de négocier pour le compte des journalistes, et après accord, de gérer leurs droits.


Que faire pendant la négociation ?
Dès l’ouverture de celle-ci, en aviser le siège du SNJ et lui transmettre, dès que possible, la première mouture proposée par la direction. Si possible, effectuer les envois sous forme électronique en adressant le texte au format Word ou RTF à [email protected]. En tout état de cause, ne jamais rien signer sans l’accord du SNJ national, quelles que soient les pressions éventuelles de la direction ou des autres syndicats. Enfin, dès signature, envoyer la version définitive signée à la fois par courrier normal et sous forme électronique, la première pour archivage et la seconde pour mise en ligne sur le site du SNJ et celui de la FIJ. Bien entendu, il faut d’emblée associer le plus grand nombre possible de journalistes, statutaires et pigistes, à la réflexion collective sur la négociation en cours en faisant circuler les différentes moutures du projet d’accord.

Documents de référence
Les principaux accords et les jurisprudences les plus récentes sont accessibles sur le site du SNJ à la rubrique « droits d’auteur » à http://www.snj.fr/droits_auteur/droits_auteurs.htm

Voir aussi sur le site consacré aux droits d’auteur de la FIJ (pour l’instant essentiellement en anglais) : http://www.ifj.org

Et le document de travail du sommet de Londres, très utile pour se forger une argumentation solide dans la négociation:

Textes essentiels
Code du travail :

• art. L.761-8. « Tout travail non prévu dans les accords constituant le contrat de louage de services entre une entreprise de journal ou périodique et l’une des personnes mentionnées à l’article L. 761-2 comporte une rémunération spéciale. »

• art. L. 761-9. (…) alinéa 2 : « Le droit de faire paraître dans plus d’un journal ou périodique les articles ou autres œuvres littéraires ou artistiques dont les personnes mentionnées à l’article L. 761-2 sont les auteurs est obligatoirement subordonné à une convention expresse précisant les conditions dans lesquelles la reproduction est autorisée.»

Convention collective :

• art. 7, alinéa 8 : « Il est rappelé que, conformément à l’article L.761-9 du Code du travail, «le droit de faire paraître dans plus d’un journal ou périodique des articles ou autres œuvres littéraires ou artistiques dont les personnes mentionnées à l’article L. 761-2 sont les auteurs, sera obligatoirement subordonné à une convention expresse qui devra indiquer les conditions dans lesquelles sera autorisée la reproduction »

• art. 9 : « Les droits de propriété littéraire et artistique du journaliste sur son œuvre, et notamment ceux de reproduction et de représentation, sont définis par les dispositions de la loi du 11 mars 1957, modifiées par la loi du 3 juillet 1985. »

Code de la propriété intellectuelle (CPI) :

• art. L.111.1 alinéa 1 CPI : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit exclusif et opposable à tous.

• art. L.111.1 alinéa 3 CPI : «L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l’alinéa 1.»

• Article L121-8 «L'auteur seul a le droit de réunir ses articles et ses discours en recueil et de les publier ou d'en autoriser la publication sous cette forme.
Pour toutes les oeuvres publiées ainsi dans un journal ou recueil périodique, l'auteur conserve, sauf stipulation contraire, le droit de les faire reproduire et de les exploiter, sous quelque forme que ce soit, pourvu que cette reproduction ou cette exploitation ne soit pas de nature à faire concurrence à ce journal ou à ce recueil périodique. »

• art. L.122.1 « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne, il est perpétuel et imprescriptible.»

• art. L.122-4 CPI. «Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. »

• art. L.131-1 CPI : « La cession globale d’œuvres futures est nulle »

• art. L.131-3 CPI : « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et sa destination, quant au lieu et quant à sa durée. »

art. L.131-6 CPI : « la clause d’une cession qui tend à conférer le droit d’exploiter l’œuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat doit être expresse et stipuler une participation corrélative aux profits d’exploitation ».

note : La cession du droit de reproduction n’emporte pas celle du droit de représentation et vice-versa (art. L122-7 alinéas 2 et 3 CPI)

art. L.335-4 CPI : « est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi ».

Code pénal :

art. 425 du nouveau code pénal : « le délit de contrefaçon est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 120 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement. »

art. 426 : « le tribunal pourra prononcer la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par l’infraction et du matériel spécialement installé en vue de la réalisation du délit. »

version du 18 novembre 2001