Médias : les femmes à l’épreuve du pouvoir 

« Les droits ne doivent pas être des droits de papier. » Ce fut l'un des principes chevillé au corps des participantes et participants de ces 49èmes Assises de « l’Union de la presse francophone » à Ben Guerir au Maroc les 25, 26 et 27 juillet 2022.

Constatant que des femmes continuent toujours d’être les victimes de ce syndrome d’imposture qui les freine, Mme Christiane Taubira, ancienne Garde des sceaux, femme politique dans toutes les nobles acceptions du terme, a patiemment démystifié le pouvoir machiste, ses codes et ses  méthodes pour mieux rappeler aux femmes qu’elles doivent tracer leur propre chemin. Elle a dû relever 4 défis : sa condition de femme, sa condition de couleur, sa condition sociale et ses convictions. Identifier ce qu’on est et forger sa vie, voilà l’objectif.

« Le pouvoir ne se prend pas, il s’exerce » lui a répondu en écho Anne-Cécile Robert (membre du Directoire du Monde Diplomatique), toute nouvelle Présidente élue de l’Union de la presse francophone (UPF), en citant Michel Foucault.

Elle, comme d’autres, a très simplement décrit son parcours professionnel et les moyens qu’elle s’est donné pour parvenir à la fonction qu’elle ambitionnait.

Cinq tables rondes et cinq ateliers ont décliné le thème de ces Assises : « Leadership féminin au sein des médias »*, organisées par la Secrétaire générale de l’UPF, Zara Nazarian. Le nombre et la qualité des intervenantes issues des 5 continents où la francophonie est bien vivante ont illustré la diversité des composantes de l’UPF et l’originalité des pensées et des actions.

Quelques phrases résument parfois des années de luttes et, toujours, des années de vie, confrontées aux difficultés d’exercer la profession de journaliste quand on est femme.

« Le changement sera féminin ou ne sera pas » a été très largement partagé par toutes et tous. Impossible de rendre compte de ce foisonnement de propositions et d‘initiatives, seulement de donner des aperçus au fil des discours.

Mme Bochra Belhaj Hamida, avocate, militante des droits de l’homme (Tunisie) a souligné la longue route à parcourir. Si 80% des femmes subissent toutes sortes de violences, les médias sont une forme de vigilance de la société pour les dénoncer et faire ainsi cesser les discriminations, a-t-elle rappelé.

Pour Mme Colette Tshomba Ntundu, universitaire, députée (RDC) : « Il ne faut pas attendre d’être grand-mère pour se réaliser. ».

« Leadership à clamer plutôt qu’à réclamer », a rappellé Mme Meriem Oudghiri, Présidente de la section marocaine de l’UPF. 

Des chiffres édifiants ont été partagé. Ceux de l’étude Etre femme et journaliste en Belgique francophone (2018) citée par Martine Simonis, Secrétaire générale de l'Association des journalistes professionels (Belgique), rappellent que même si des progrès relatifs à la parité dans les médias ont été enregistrés, beaucoup reste à faire.

Partout, les conférences de rédaction sont des lieux de pouvoirs acharnés. Les expériences de prises de paroles n’y sont pas facilitées et les missions et reportages sont confiés aux hommes quand ils risquent de « dépasser les heures de bureau » puisque les femmes doivent assumer soins des enfants et activités de la maison.

D’où cette apostrophe :  « Choisissez bien votre homme ! »

Et un appel à la mise en œuvre d’une parité domestique.

La table ronde la plus émouvante, les femmes dans les zones de crises/conflits, a été celle où se sont exprimées notamment :

-Laure Siegel (journaliste correspondante Mediapart/Arte) à Bangkok à propos de sa couverture des évènements en Birmanie et en Thaïlande;

-Arphine Rahelisoa (directrice de la publication Ny Valosoa) de Madagascar, mise en prison pour sa couverture de la gestion gouvernementale de la pandémie;

-Shayda Hessami (directrice générale de l'association Aide humanitaire et journalisme) qui vient en aide aux femmes journalistes en Irak, Syrie, Libye, Yémen et Afghanistan.   

Quant au rôle des médias dans le renforcement de ce leadership des femmes, il était le moteur permanent de toutes les interventions. Les femmes sont bien le levier des changements.

Ces Assises ont aussi été le moment de la concrétisation et de la signature du " Mémorandum d’entente et de coopération entre l’Union de la presse francophone et La Fédération internationale des journalistes".

Le texte, qui rappelle les objectifs communs des deux partenaires tels que la défense de la liberté de la presse, la sécurité des professionel.le.s des médias et la déontologie, établit des principes de solidarité et d’échanges.  

En tant que Présidente de la FIJ, j’ai été saluée dès l’ouverture et ai pu intervenir longuement sur ce qu’est la FIJ, ce qu’elle représente et quels sont ses objectifs urgents : la libération de Julian Assange et celle de nos 4 confrères condamnés à mort au Yémen. La Convention contre l’impunité des assassins de journalistes et leurs commanditaires a fait l’objet d’explications et j’ai rappelé à toutes et tous l’impérieux devoir d’engager leurs gouvernements à annoncer publiquement leur soutien à l’initiative afin qu’elle soit adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le plus vite possible.

Dans un contexte mondial où la guerre contre la liberté d’expression est menée dans nombre de pays, des espoirs de réponses existent : des collectifs syndicaux et associatifs, des plateformes pour la sécurité des journalistes en Europe et en Afrique.

Certaines pratiques professionnelles collectives sont de véritables réussites telles le « Consortium international des journalistes d’investigation » qui met au jour au niveau planétaire les dérives de corruptions, d’évasions fiscales, ou encore « Forbidden stories » qui reprend l’enquête d’un.e. journaliste assassiné.e et la mène à terme: Leur message public : ils ont tué le messager, ils ne tueront pas le message. 

La liberté d’Informer et d’être Informé.e n’est jamais donnée mais doit se défendre au quotidien. Le nouveau partenariat de la FIJ et de l'UPF oeuvre en ce sens et le Prix Shereen Abu Akleh, distinguant le courage et l'engagement des femmes journalistesque nous avons lancé conjointement ce 27 juillet est un signal fort de nos organisations en faveur du reportage de qualité, de l'indépendance journalistique et de la place des femmes dans l'information.

 

Dominique Pradalié

Journaliste

Présidente de la Fédération Internationale des Journalistes