Harcèlement en ligne: "Il s'agit de réduire au silence toute femme qui ose s'exprimer et avoir une opinion", Michelle Stanistreet, Secrétaire Générale de la NUJ

Michelle Stanistreet est la secrétaire générale de la National Union of Journalists au Royaume-Uni et en Irlande. La NUJ vient de lancer un nouvel outil pour soutenir la sécurité en ligne des journalistes. Michelle nous parle du travail de son syndicat pour lutter contre les abus en ligne dont sont victimes les femmes journalistes.

[Translate to French:] Credit: Jason Harris.

FIJ : Que fait votre syndicat pour lutter contre les abus en ligne envers les femmes journalistes ?

La NUJ est très active dans la lutte contre ce problème. Une grande partie du travail effectué au cours des 18 derniers mois (2020-2022) a permis de renforcer notre action globale grâce à une série de mesures plus cohérentes que nous avons menées, certaines d'entre elles étant ciblées par la création du Comité pour la sécurité des journalistes. Nous avons fait avancer et dirigé ce travail à travers le Royaume-Uni et l'Irlande afin de relever ce qui est devenu un défi croissant et, d'une certaine manière, d'illustrer les besoins actuels des journalistes. 

FIJ : Quelles sont les actions en cours ? 

M. St : Pour faire le point sur ce que nous faisons, nous avons lancé un court métrage à diffuser lors de réunions d'étudiant.e.s en journalisme et à utiliser sur nos canaux structurels pour lancer la conversation. Des journalistes y partagent leur expérience et l'impact du harcèlement en ligne sur eux ou elles, à la fois personnellement et dans leur travail. Ce film a pour but d'amener le grand public à en parler, d'être le point de départ d'une tentative de changement de la culture existante - une culture où les gens considèrent cela comme une part inévitable du travail. Ce que nous essayons de faire, c'est d'amener nos membres, à la fois individuellement et collectivement, à penser : "Non, ce n'est pas acceptable, je n'ai pas à supporter cela dans le cadre de mon travail".

En un mot, la NUJ : 

  • a mis en place une riposte pratique. La boîte à outils numérique que nous venons de lancer fait partie de ce travail ;
  • fournit des conseils pratiques pour aider les gens à signaler ces incidents, car beaucoup d'entre eux ou elles ne le font pas et nous encourageons donc davantage de journalistes à porter plainte;
  • incite les employeur.se.s à faire davantage pour protéger leur personnel et les freelances ;
  • et cela permet aux gens de réaliser que le syndicat ne se contente pas de faire campagne sur ces sujets, mais qu'il essaie réellement d'apporter des changements.

FIJ. : Dites-nous en plus sur le court-métrage

M. St : Il est important d'obtenir le témoignage de journalistes, ces cas sont très choquants et il est important d'entendre et de reconnaître l'impact des abus. C'est une bonne incitation que de faire réfléchir les gens à un problème qui est devenu un lieu commun, un événement quotidien, en particulier pour les femmes, les journalistes à travers l'industrie des médias, et surtout dans certains secteurs comme le sport et la politique. 

FIJ : Outre l'action de prévention et l'ouverture d'un débat, la NUJ fait-elle quelque chose en matière de suivi, de collecte de données, de réception de plaintes, de signalement de cas ?

M. St : La NUJ enregistre les cas lorsque les membres les soulèvent et demandent directement de l'aide.

Nous avons également mené une grande enquête sur la sécurité à la fin de l’année 2020. Nous avons participé à l'appel à témoigner du ministère de l'Intérieur britannique au printemps 2021. Les résultats ont reflété les conclusions de l'enquête de la NUJ. Une nouvelle enquête a été lancée en mai 2022. Elle sera diffusée et permettra d'évaluer les changements intervenus.

FIJ. : Sur quoi portera la nouvelle enquête ?

M. St : La nouvelle enquête lancée en mai 2022 a été commandée par le Comité national de sécurité, dont la NUJ fait partie et réalisée par une agence de recherche externe. Ce ne sera pas exactement la même enquête que celle que nous avons publiée. Bien qu'elle présente de nombreux points communs, elle sera plus étendue et comportera une analyse plus approfondie.

FIJ : Le plaidoyer constitue-t-il toujours une part importante du travail de la NUJ auprès du gouvernement, des législateurs et des institutions judiciaires ? Ou considérez-vous que ce travail est terminé maintenant que la NUJ fait partie du Comité national de sécurité ?

M. St : Bien sûr ! La défense des intérêts est en quelque sorte centrale pour tout syndicat. Oui, nous faisons partie d'un comité qui s'est engagé collectivement à faire un certain travail qui comprend un plan d'action d'une série de points pour lesquels les différentes parties prenantes ont des responsabilités. Mais la NUJ, en tant qu'entité propre, travaille sur cette question en parallèle, elle ne supplante pas les choses, elle les complète. La NUJ a fait partie intégrante du comité en identifiant bon nombre de défis et en dirigeant une grande partie des éléments pratiques de certains des plans et des conclusions du comité. 

Mais oui, nous avons des membres qui nous contactent encore chaque semaine, voire chaque jour, parce qu'il.elle.s ont été agressés ou harcelés dans l'exercice de leurs fonctions, en essayant de couvrir une manifestation par exemple. Nous devons intervenir dans les cas de harcèlement de nos membres, par exemple ceux et celles qui travaillent au service persan de la BBC, où la menace et le harcèlement viennent de l'État iranien, qui ont militarisé les membres de leur famille à Téhéran. Il y a de nombreux cas en cours où la NUJ offre un plaidoyer, un soutien et une représentation juridique, cela fait partie de notre travail quotidien.

FIJ : En ce qui concerne l'assistance juridique, la NUJ s'occupe-t-elle des conseils mais aussi du coût financier et de la représentation juridique ?

M. St : S'il existe un processus juridique dans lequel nos membres sont représenté.e.s légalement, qu'il s'agisse d'une question d'emploi ou d'une affaire criminelle potentielle, la NUJ est régulièrement impliquée dans la fourniture et le financement de cette représentation. 

Lorsqu'il s'agit d'une affaire pénale, une partie de notre travail consiste à maintenir un contrôle sur les procédures, à demander des comptes à la police. Une partie de notre travail consiste également à faire en sorte que la police prenne ces affaires plus au sérieux, en changeant la façon dont elle aborde ces enquêtes, voire en surveillant les cas. En effet, jusqu'à récemment, la police n'enregistrait pas ces cas comme des cas spécifiques visant des journalistes de manière professionnelle. De nombreu.ses.x journalistes ne signalent pas ces cas parce qu'il.elle.s pensent que la police ne les prendra pas au sérieux, ou parce qu'il.elle.s ont déjà eu une mauvaise expérience avec la police. C'est aussi l'une des choses auxquelles nous essayons de nous attaquer : nous essayons d'encourager nos membres à signaler les incidents. 

FIJ : Avec la police, interagissez-vous au cas par cas ou existe-t-il un programme systématique, une collaboration, un plan d'éducation ?

M. St : Nous réagissons de manière réactive lorsque des incidents surviennent. La NUJ a développé une bien meilleure liaison avec les forces de police du Royaume-Uni, individuellement et par le biais du Conseil national des chefs de police, au cours des deux dernières années. Pendant la pandémie et les premiers lockdowns, les journalistes ont été confronté.e.s à des défis dans leur travail sur le terrain, en documentant et en photographiant ce qui se passait dans les rues. Bien qu'il.elle.s soient des travailleur.euse.s clés, il y avait des difficultés sur le terrain en raison d'un manque de compréhension de la part des agent.e.s individuel.le.s quant aux rôles, responsabilités et droits des collecteur.trice.s d'informations. Je suis intervenue au niveau central, directement auprès du Conseil national des chef.fe.s de police. La réponse à cette intervention a été une note de service immédiate, qui a circulé et a été communiquée à toutes les forces de police et à tou.te.s les officier.e.s. Nous avons noté des différences assez immédiates en termes d'amélioration du traitement et de la compréhension du rôle des journalistes, sans entraver leur travail.

Il y a différentes façons d'essayer de le faire. Le travail que nous effectuons sous l'égide du Plan national de sécurité, avec le Comité national pour la sécurité des journalistes, comprend également un travail visant à améliorer la formation de tou.te.s les officier.e.s de police (il couvre les relations avec la presse et les médias et la nécessité de faciliter cela d'une manière qui n'empêche pas les journalistes de faire leur travail). 

La police a modifié sa structure, à la suite de ce travail : c'est désormais un.e enquêteur.rice principal.e qui prend en charge l'enquête sur les incidents de harcèlement. Elle a également mis en place un.e officier.e de liaison pour la sécurité des journalistes (qui sera plus vraisemblablement un.e membre de l'équipe de communication), qui n'a pas le pouvoir d'enquêter sur l'affaire mais d'agir en tant que personne de liaison sur cette affaire. Cela permet d'améliorer l'approche adoptée, de changer les réactions et les attitudes paresseuses et inappropriées, de faire comprendre aux agent.e.s le problème et le fait que les situations de harcèlement peuvent facilement aboutir à du harcèlement et des abus en personne.

Les services du ministère public se sont également engagés à adopter une approche plus ferme de ces affaires. 

FIJ. : Quel a été l'élément déclencheur de cette dynamique ? 

M. St : La NUJ a fait du lobbying et des campagnes à travers le syndicat, afin d'impliquer ses membres dans la promotion du changement. Nous avons fait pression pour une approche nationale et une stratégie nationale pour lutter contre les abus et le harcèlement en ligne. Enfin, lorsque le gouvernement a pris des mesures pour créer ce comité, la NUJ en a été exclue dès le départ, et nous avons dû mener une campagne acharnée pour être inclus. Nous avons constaté un pic de harcèlement et d'abus de journalistes au début de la pandémie, mais ce n'était pas le début. Nous avons eu un certain nombre de cas de harcèlement au fil des ans.

FIJ : Pensez-vous que la réception du harcèlement en ligne contre les journalistes est en quelque sorte parallèle à la réception du harcèlement fondé sur le genre et des questions liées au genre en général ? Ou s'agit-il vraiment d'une question concernant les journalistes qui pourrait être reçue différemment de la question du harcèlement sexiste contre les femmes en général ?

M. St : Cela fait partie du traitement plus large des femmes dans la société, du harcèlement contre les femmes, de la violence domestique et de toute forme de violence sexiste et de misogynie. Cependant, il est également distinct. Peut-être que si vous le catégorisez, il est spécifique aux femmes en position d'influence, en politique, dans des types de rôles visibles dans la société. Les femmes dans la vie publique sont une lentille plus large à regarder. Une grande partie des abus en ligne est liée au sujet sur lequel les femmes écrivent. Ils sont empreints de misogynie, de menaces de viol, de menaces à l'encontre de leurs enfants, de commentaires sur leur apparence.

Il est lié à un problème de société plus large, dont il est aussi la cause. Il s'agit de réduire au silence toute femme qui ose s'exprimer et avoir une opinion. Nos membres masculins reconnaîtront qu'ils sont loin de recevoir le même niveau de menaces que les femmes journalistes et que, parfois, ils ne comprennent pas vraiment la masse quotidienne d'abus et de commentaires dont sont victimes leurs collègues féminines. Le nombre de femmes victimes de violences et de journalistes noir.e.s ou issu.e.s de minorités ethniques reste très disproportionné.

FIJ : Avez-vous adopté une mesure spécifique pour les indépendant.e.s ?

M.St : Une grande partie de nos membres sont des indépendant.e.s. Dans le travail gouvernemental, ou avec les médias, nous essayons d'attirer l'attention sur leur situation, souvent différente de celle des salarié.e.s, en ce qui concerne les conditions de travail et d'engagement, de formation à la sécurité, de gestion des structures pour les abus et le harcèlement en ligne. Nous essayons d'élargir le champ d'action. Certains conseils sont un peu plus adaptés et ciblés sur les indépendant.e.s. La NUJ essaie de rendre les employeur.e.s plus responsables de leurs freelances. La NUJ tente également de créer un fonds auquel les individus pourraient avoir accès en cas de besoin/urgence (par exemple, s'ils ou elles doivent fuir leur domicile). La NUJ estime que les employeur.e.s devraient assumer tous les coûts et toutes les responsabilités en cas d'abus en ligne, et les indépendant.e.s devraient bénéficier du même soutien. Ce fonds pourrait inverser cette inégalité. 

FIJ : La NUJ a-t-elle négocié des conventions collectives qui incluent des dispositions spécifiques sur les abus en ligne ou sur le harcèlement en général (où le harcèlement en ligne pourrait être inclus) ?

M.St : Un travail actif est en cours pour mettre à jour et améliorer les politiques qui existent à cet égard, pour élaborer certaines mesures. Un travail proactif est en cours chez Reach PLC, par exemple lorsque le premier groupe d'édition a nommé un.e responsable de la sécurité des journalistes, quelqu'un qui a une responsabilité de gestion dans ce domaine. Nous sommes en discussion avec un certain nombre d'employeur.e.s sur la façon dont ils ou elles peuvent suivre l'exemple, en adoptant une approche engagée beaucoup plus progressive.

FIJ : Comment la FIJ pourrait-elle soutenir ses affiliés ainsi que les employeur.e.s des médias dans leur propre soutien à leurs travailleur.euse.s ? 

M.St : La FIJ peut partager les actions positives qui sont prises, les choses qui fonctionnent bien dans les syndicats de différentes régions, et les partager plus largement. Le partage des ressources est bénéfique car aucun d'entre nous ne veut dépenser de l'argent et du temps pour reproduire un travail qui se fait ailleurs et qui pourrait être traduit dans d'autres parties du monde. La FIJ pourrait partager ces exemples. Par exemple, nous sommes particulièrement intéressé.e.s par ce qui se fait au Canada, comme leur travail en cours pour développer un tracker sur la liberté et la sécurité de la presse, quelque chose que j'aimerais avoir en Irlande et au Royaume-Uni. 

FIJ: La NUJ fait-elle quelque chose à propos de la Convention 190 de l'OIT ?

M.St : La NUJ a mené différentes actions pour faire pression en faveur de cette importante Convention - notamment des déclarations soulignant pourquoi elle est absolument nécessaire, un travail de lobbying auprès des ministères, l'information des membres du Parlement, en particulier par le biais de notre groupe parlementaire multipartite, et la sensibilisation de nos membres, en établissant un lien avec les problèmes courants auxquels ils ou elles sont également confronté.e.s sur le terrain dans l'exercice de leur travail. 

Sources supplémentaires :

  • Journalism.co.uk Podcast (Jacob Granger, with Rebecca Whittington) 

https://www.journalism.co.uk/podcast/rebecca-whittington-online-safety-editor-of-reach-plc-on-abuse-against-journalists/s399/a886719/

  • National Committee for the Safety of Journalists

https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/910141/Terms_of_Reference_-_National_Committee.pdf

  • National Committee for the Safety of Journalists – Minutes

www.gov.uk/government/groups/national-committee-for-the-safety-of-journalists

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