L’appel des journalistes de Turquie à la solidarité dans leur lutte pour le droit d’informer

Au cours d’une conférence accueillie par le Syndicat turc des journalistes (TGS) et l’Association turque des journalistes (TGC), des journalistes de renom de tous bords politiques se sont unis pour condamner la résurgence des agressions perpétrées par le gouvernement au cours des dernières semaines contre la liberté de la presse. Les participants ont relaté la montée des attaques du gouvernement et de ses partisans contre les journalistes et les médias depuis les élections peu concluantes de juin et la relance du conflit avec le PKK. Les journaux font l’objet d’offensives de foules en colère, de nombreux sites d’agences de presse et d’organisations syndicales sont bloqués, des journalistes étrangers sont déportés alors que de nombreux autres sont poursuivis pour « insultes » aux Président turc ou sont tout simplement licenciés. Les pressions sur les journalistes sont appelées à s’intensifier au fil de la campagne pour les élections du 1 novembre. La Fédération internationale des journalistes et la Fédération européenne des journalistes (FIJ/FEJ), qui organisaient ensemble cette conférence internationale, ont joint leur voix à celle des auteurs de l’appel pour que cesse l’oppression. « Le gouvernement doit arrêter de museler les journalistes, » a déclaré Jim Boumelha, Président de la FIJ. « Les journalistes, quelle que soit leur option politique, doivent s’unir pour combattre le harcèlement, les intimidations et la violence qui menacent la paix au sein de la profession." Ugur Guc, le Président du TGS, a averti : « La société turque se fragmente et le pays s’enflamme. Le TGS en a toujours appelé à la paix, contre la guerre. Nous invitons instamment nos collègues à recourir à un discours de paix et non de haine. » La conférence internationale a pu compter sur la participation d’orateurs et de panélistes dont la réputation n’est plus à faire : Can Dundar, Sirin Payzin, Kadri Gürsel, Ragip Duran, Erol Önderoglu, Steven Ellis, Yildiz Tar, Hakki Boltan, Sibel Günes, Baris Ince. Frederike Geerdink, la journaliste néerlandaise récemment déportée de Turquie, a également participé par téléconférence. Can Dündar, rédacteur de Cumhuriyet, a estimé le temps venu pour les journalistes de s’unir contre l’oppression affirmant que malgré les tirs croisés, c’était le meilleur moment pour être journaliste en Turquie. « C’est le bon moment et le bon endroit, je ne voudrais être nulle part ailleurs. » Kadri Gürsel, chroniqueur bien connu et licencié du Miliyet sur ordre du Président, a déclaré qu’entre deux élections, les journalistes sont actuellement confrontés à un véritable terrorisme et des menaces de mort. Sa réponse est d’en appeler aux journalistes à « Ne pas afficher leur peur, à être audacieux car se plier aux pressions ne peut qu’aider ceux d’en face à l’emporter. » Frederike Geerdink, journaliste néerlandais qui résidait à Diyarbakir et a été déportée en septembre pour ses informations sur le conflit. Elle a participé par skype à la conférence et a confié : « La liberté de la presse existe en Turquie, pour certains. Si vous jouissez de la protection du gouvernement, vous avez toute liberté pour déformer la vérité à votre gré ». La FIJ-FEJ, le TGS et la TGC ont présenté les conclusions de la conférence d’Istanbul lors d’une conférence de presse le 18 septembre parmi lesquelles figuraient une liste d’actions à entreprendre immédiatement, au cours de cette période électorale, et les problèmes à traiter prioritairement en vue d’une réforme à long terme du secteur des médias que devra entreprendre le prochain gouvernement qui sortira des élections du 1 novembre. La révision du système d’accréditation discriminatoire, la possibilité pour les journalistes d’informer en toute liberté sur le conflit et les élections, la réforme de la commission chargée des cartes de presse permettant aux syndicats et associations de la profession d’émettre des cartes de presse sans ingérence du gouvernement sont autant de revendications à traiter immédiatement. La liberté de circulation, la sécurité et l’accès aux informations dans le pays, la libération des journalistes encore emprisonnés et la fin de toutes les poursuites à leur endroit, la levée de la censure sur internet par le TIB et du blocage des sites de médias, la promotion et l’autorégulation ainsi que le respect du journalisme éthique et indépendant, l’invitation adressée aux journalistes d’éviter tout recours au discours haineux font partie du cahier des doléances. La revitalisation du journalisme en Turquie ne verra le jour que si le mouvement syndical des journalistes se reconstruit, et que si les droits du travail des journalistes sont respectés et se déclinent en rémunérations et conditions décentes, reconnaissance de la profession, sécurité de l’emploi et protection contre toute ingérence politique dans les salles de presse. L’intégralité des conclusions de la Conférence d’Istanbul peuvent être consultées ici.
La campagne pour la Liberté du journalisme en Turquie s’inscrit dans le cadre de la Campagne de dépénalisation du journalisme turc, de la libération de la parole et de la protection des droits sur le lieu de travail, projet qui est soutenu financièrement par le Programme Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme de la Commission européenne. Seuls les auteurs assument la responsabilité du contenu et des actions. Ils ne peuvent être considérés comme reflétant le point de vue de l’Union européenne.