Charlie Hebdo: la censure à l'oeuvre en Turquie

Afin de marquer sa solidarité avec « Charlie Hebdo », le quotidien turc « Cumhuriyet » (« République », kémaliste et laïque) a traduit et publié, dans ses éditions du 14 janvier, des extraits choisis du dernier numéro de l’hebdomadaire satirique français, sans publier toutefois la couverture controversée. Juste après l’impression du journal turc, les services de police ont décidé d’intervenir sur les camions de livraison durant la nuit afin de contrôler le contenu des pages de « Cumhuriyet » pendant près d’une heure et d’en référer au procureur de la République. Constatant que la couverture de « Charlie Hebdo » n’y figurait pas, la police et le procureur ont libéré les camions saisis. Le syndicat des journalistes de Turquie (TGS), soutenu par la Fédération International des Journalistes (FIJ) et son groupe régional, la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ), condamnent fermement cette tentative d’obstruction visant le journal « Cumhuriyet ». « C’est clairement le retour de la censure et une violation des articles 28, 29 et 30 de la Constitution. En agissant de la sorte, le gouvernement AKP piétine la liberté de la presse, la liberté d’expression, la liberté de pensée et le droit du peuple a être informé », a réagi Ugur Güç, président du TGS. « On ne peut qualifier de démocratie les régimes qui interviennent avant même que les journaux soient imprimés ou distribués. Nous condamnons également cette atteinte directe du pouvoir au droit du peuple à être informé par voie de presse », a ajouté la Plateforme des Journalistes G9. « Chassez naturel, il revient au galop », a pour sa part affirmé Anthony Bellanger, le Secrétaire général adjoint de la FIJ. « Comment, dimanche, le Premier ministre turc peut affirmer dans les rues de Paris qu’il « est » Charlie et, quatre jours après, réprimer son peuple et ses libertés, sur une Une soi-disant offensante. Une grande partie du peuple turc, attaché aux valeurs de laïcité et de liberté, souhaitait posséder dans son entier cette édition de Charlie Hebdo, dont les tirages sont en train de battre des records de vente. Ces choix politiques et cet exemple précis de Charlie Hebdo montrent finalement que plus on musèle la liberté d’expression, plus on lui donne de l’audience. » Travaillant pour le quotidien « Milliyet », l’éditorialiste Mehvis Evin a également été victime de censure pour un édito sur Charlie Hebdo qui n’a pas été publié par son journal. On apprenait, par ailleurs, mercredi, qu’un tribunal turc avait ordonné le blocage des pages des sites internet qui republient la caricature du prophète Mahomet publiée en « une » de la dernière édition de « Charlie Hebdo ». « Il est incompréhensible de voir le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu participé avec nous à la marche pour « Charlie Hebdo » à Paris puis de constater que de retour au pays son pouvoir s’attaque aux journaux et aux journalistes qui veulent manifester leur solidarité avec « Charlie Hebdo ». Les autorités turques doivent tout faire pour assurer la sécurité et la liberté d’expression dans le pays », a réagi Mogens Blicher Bjerregård, le président de la FEJ. Citant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le président de la FEJ rappelle que « la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de société démocratique ».