Syndicats de journalistes en Europe: un calendrier pour le changement

<CENTER>Assemblée annuelle de la FEJ à Bilbao, les 3 et 4 avril 2005

Prise de position du comité directeur
de la Fédération Européenne des Journalistes
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1. La Fédération Européenne des Journalistes tient son assemblée annuelle en un moment de crise sans précédent et de défi pour les journalistes et pour leurs syndicats.

2. Au sein de l'Union Européenne et en-dehors, pays de transition compris, les journalistes et le personnel des médias réclament des conditions de travail minimales, sur les plans légal, professionnel, et social, de manière à y assurer la justice sociale, une rémunération normale, et des possibilités de progression professionnelle.

3. Leurs aspirations sont toutefois ignorées par des employeurs qui, dans tous les secteurs de la Presse, sacrifient le principe de base d'un journalisme de qualité, indépendant, et fiable, à la satisfaction d'objectifs de marchés qui ne servent que les intérêts étriqués des propriétaires et des actionnaires.

4. Dans tous les secteurs de la Presse, les propriétaires mettent en pratique un processus de coopération transfrontalière brutal et concerté, pour imposer un ordre nouveau dans le journalisme européen. Cet ordre ignore les intérêts légitimes du public, trahit les principes de base de la liberté éditoriale, et laisse de côté toute la valeur d'engagement du journalisme.

5. Les conséquences de cette évolution se traduisent par une détérioration sensible des droits des travailleurs, un développement du journalisme sans la moindre référence éthique, une perte de confiance du public en ses médias, et une érosion sans précédent de l'attachement à la valeur européenne du journalisme de service public.

6. Nous condamnons sans aucune réserve cette culture du profit, la concentration et l'exploitation éditoriale crûment exposées dans la vague actuelle d'attaques contre les salaires, les conditions de travail, et le statut des journalistes à travers l'Europe.

7. Dans le même temps, nous déplorons la complaisance et l'inaction de gouvernements, nationaux et régionaux, qui laissent sans réponse les menaces que font peser ces développements sur l'avenir des médias et le journalisme indépendant.

8. Réunie à Bilbao (Espagne), la Fédération Européenne des Journalistes exprime sa conviction que des actions urgentes sont requises au niveau politique comme à celui des entreprises, pour faire face à cette crise qui ne fait qu'empirer.

En particulier, nous réclamons la mise en œuvre d'un calendrier pour le changement au sein des médias. Ce calendrier sera basé sur les exigences fondamentales suivantes:

Droits syndicaux et conventions collectives pour tous

Les gouvernements et les employeurs doivent réaffirmer le droit des journalistes à s'organiser librement, à négocier des conventions collectives de travail, et à rencontrer des collègues travaillant pour le même groupe de Presse, que ce soit dans leur propre pays ou dans d'autres pays.

Partie prenante à cette campagne pour le changement, la Fédération Européenne des Journalistes collaborera étroitement avec la Confédération Européenne des Syndicats (CES) pour faire pression sur les gouvernements européens, pris individuellement et collectivement, afin de défendre les droits des travailleurs; de promouvoir le droit d'auteurs pour tous; et de combattre l'exploitation des travailleurs free lance.

Des stratégies économiques respectueuses des cultures et de la diversité

L'Europe doit renoncer à des lois nouvelles et à de nouvelles règles de régulation économiques de nature à handicaper la profession de journaliste, ou porter atteinte à la diversité culturelle et aux identités nationales en Europe. Des propositions de directive sur les services doivent absolument mettre en place des garde-fous et des exceptions en la matière.

Les plans relatifs à la modification du temps de travail et à la régulation de l'audiovisuel ne doivent pas laisser champ libre à des nouvelles tentatives de ruiner le modèle européen d'audiovisuel public.

La FEJ rappelle avec insistance les principes adoptés par le Conseil de l'Europe et par l'Union Européenne: ces principes posent que l'information a des valeurs culturelles et démocratiques autant qu'une valeur économique. Toute politique des médias doit être basée sur ces principes.

Des actions limitant la concentration des médias tant au niveau national que régional sont vitales pour réduire la commercialisation de l'information, et pour protéger le droit de tous les Européens à l'information.

Priorité aux valeurs du Service public

Nulle part, la crise des medias européens n'est aussi vive que dans la bataille en cours pour le cœur et l'âme des médias audiovisuels, où des employeurs, tant de la presse écrite que de l'audiovisuel, collaborent intensément pour démanteler les structures du journalisme d'intérêt public.

L'élargissement de l'Union Européenne englobe de nombreux Etats nouveaux, dont la plupart n'ont pas créé de médias audiovisuels publics viables et indépendants par nature. Par surcroît, des propositions dévastatrices pour l'audiovisuel public se développent dans des pays de forte tradition audiovisuelle publique, comme la France, l'Espagne, le Portugal, le Danemark et l'Allemagne.

Des milliers d'emplois sont menacés au Royaume-Uni par une attaque continue contre la BBC. La situation périlleuse de la concentration des médias, jointe aux pressions politiques sur l’audiovisuel, ajoute, en Italie, aux craintes pour l'avenir du secteur audiovisuel public.

La FEJ fera vigoureusement campagne pour la défense des valeurs du service public. Elle insiste pour que les organes européens nationaux et régionaux adoptent les principes énoncés par le Manifeste pour les Valeurs du Service Public, diffusé au début de cette année.


Un journalisme de qualité pour une Europe nouvelle

Pour conclure, nous réaffirmons notre attachement à la mission traditionnelle du journalisme, au service de la société démocratique.

Dans un climat politique de plus en plus intolérant voire même effarant, un journalisme de qualité est vital pour protéger et promouvoir des valeurs de démocratie et de tolérance. C'est pourquoi nous adhérons aux conclusions de la Déclaration de Bilbao, émise par la Conférence sur le Journalisme, les Libertés Civiles, et la Guerre, tenue les 1er et 2 avril 2005.

Dans les circonstances présentes, il est urgent de soutenir des initiatives nouvelles

• Pour défendre le droit des citoyens à l'information
• Pour promouvoir une forme ouverte de gouvernement et faire face au défi que représente l'État sécuritaire
• Pour promouvoir et développer le pluralisme dans les médias
• Pour renforcer le droit des journalistes au secret professionnel
• Pour défendre l'indépendance éditoriale et encourager les comportements éthiques.

Toutes ces exigences, appuyées par des conditions de travail et des rémunérations décentes, et par le droit des journalistes à s'organiser, nourrissent un calendrier pour le changement qui ne souffre pas la réplique. Ce changement s'impose d'urgence, pour revivifier le paysage médiatique et journalistique dans l'Europe tout entière.