Lettre de la FIJ au Président du Parlement européen sur la situation de la liberté de la presse en Algérie

M. Josep Borrell Fontelles
Président du Parlement européen
Rue Wiertz
B-1047, Bruxelles

Cc. - Jean-Marie Cavada, Président de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures
       - Hélène Flautre, Présidente de la Sous-commission "droits de l'homme"

Bruxelles, le 5 avril 2006

Monsieur le Président,

Votre visite officielle en Algérie du 6 au 8 mars 2006 aura été l’opportunité de revisiter les conditions d’application de l’accord d’association qui lie ce pays à l’Union européenne, et notamment de son volet politique.

Nous souhaitons dans ce cadre vous exprimer notre vive préoccupation suite à certaines de vos déclarations tenues le 8 mars lors d’un point de presse au salon d’honneur de l’aéroport Houari Boumediène.

Vous auriez notamment indiqué, en faisant allusion à Mohamed Benchicou, condamné à deux ans de prison depuis juin 2004, que « nos interlocuteurs nous ont expliqué que l’un des cas ne concernait pas un délit d’opinion mais un délit d’une autre nature » . Vous auriez également déclaré : « nous poursuivrons la collaboration politique tout en discutant des points à améliorer. On peut être critique par rapport à des points concrets, mais la situation des libertés est moins mauvaise que dans d’autres pays méditerranéens » (El Watan, 9 mars 2006).

Nous sommes surpris par ces propos, étant donné la Résolution du Parlement européen sur la liberté de la presse en Algérie adoptée le 9 juin 2005 (P6_TA(2005)0242) qui appelait les autorités algériennes à « libérer sans délai les journalistes condamnés à des peines de prison pour diffamation ainsi que de mettre fin à cet acharnement judiciaire vis-à-vis des médias privés algériens pour délit d'opinion, et aux poursuites judiciaires à leur égard ».

Cette résolution faisait explicitement référence au cas de Mohamed Benchicou, directeur du journal Le Matin, condamné à deux ans de prison ferme le 14 juin 2004, pour infraction à la loi régissant le contrôle des changes et les mouvements de capitaux, après la mise en liquidation judiciaire de son journal en juin 2004. Votre institution rappelait d’ailleurs que « sa demande de remise en liberté pour raison de santé lui a été refusée par la justice algérienne le 20 avril 2005 alors que son état s'est gravement détérioré ».

Monsieur le Président,

Connaissant vos attachements aux droits de l’Homme, nous ne doutons pas de votre préoccupation face aux multiples attaques dirigées contre la presse algérienne depuis la réélection du président Abdelaziz Bouteflika en 2004. Nous ne voulons pas non plus douter de la détermination et de la vigilance des députés européens, qui se sont engagés à demander, dans le cadre de l’évaluation de l’accord d’association avec l’Algérie, à la Commission et au Conseil de l’Union européenne d’interpeller leurs interlocuteurs algériens sur ces atteintes répétées à la liberté de la presse.

Dans ce combat pour la liberté d’expression, le Parlement européen est un allié de poids. Nous souhaitons vivement que son engagement soit le plus ferme possible et nous vous invitons à clarifier votre position. D’une façon plus générale, il serait d’ailleurs très utile de dresser le bilan de la mise en œuvre des onze requêtes du Parlement détaillées dans sa résolution du 9 juin 2005.

Devant l’Assemblée Populaire Nationale d' Algérie, le 7 mars dernier, vous précisiez que « nous ne devons pas transiger sur les acquis de la [liberté d’expression]. Elle est un des fondements de la démocratie ». Vous déclariez également avec force que « l’Etat de droit ne doit souffrir d'aucune exception, sous peine de renforcer ses ennemis (…) Nous devons proscrire le double langage et les doubles standards dans la pratique ».

Mohamed Benchicou est en prison depuis deux ans, sur des motifs qui ont été dénoncés par l’ensemble des observateurs indépendants. La partialité des juges a depuis largement permis d’appuyer la dérive autoritaire d’un régime qui impose désormais une censure systématique.

Nous vous invitons fermement à exiger la libération des journalistes emprisonnés et à réitérer l’appel solennel du Parlement européen pour la dépénalisation des délits de presse et le respect de la liberté de la presse en Algérie. Le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, représentera une étape importante à cet égard. La situation de la presse en Algérie devra naturellement être évoquée.

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de ma très haute considération.

Aidan White
Secrétaire Général