Les réformes de la loi familiale au Maghreb

L’égalité des genres dans le journalisme au Maghreb :
Documents préparatoires au séminaire régional de Rabat (août 2005)

Les réformes de la loi familiale au Maghreb

Allocution de Nadia Ait-Zai
Avocat à la cour


Le Roi, commandeur des croyants au Maroc a tranché sur la question des amendements apportés à la Moudawanna sans que personne, même les islamistes, ne trouvent à redire. Par la voie de Nadia Yacine, porte parole d’Al Adl wal Ihsane (justice et bienfaisance) ces derniers considèrent que le nouveau code résulte « d’une relecture intelligente des textes sacrés ».

Ces réformes ont été accueillies avec joie et lucidité par le mouvement féminin Marocain. Ce dernier sait que la lutte continue encore, car il faut travailler comme le dit Leila Rhiwi « au changement des mentalités et prévenir les 61% des Marocaines analphabètes et les berbères recluses dans les montagnes du rif et de l’Atlas qu’elles sont devenues l’égale de l’homme ».

Ce changement de la Moudawanna a été bien pris par le mouvement féminin Algérien qui depuis 20 ans, lutte contre la discrimination consacrée par le code de la famille, voté en 1984.

Contentes pour leurs collègues Marocaines pour cette avancée significative, les Algériennes restent tout de même frustrées d’avoir été devancées dans les réformes de leur code qui tardent à venir à cause d’une surenchère politique. Un projet de loi de réforme du code de la famille algérien a été examiné par le conseil du gouvernement au mois d’août 2004. Ce texte a soulevé la colère des partis islamistes qui ont dénoncé la suppression de la tutelle matrimoniale et la soumission de l’exercice de la polygamie à une autorisation accordée par le juge. Un débat s’est tout de même instauré dans la société autour de ces questions. A l’annonce de l’examen du projet de loi portant modification du code de la famille par le conseil des ministre rien ne laissait supposer qu’une autre mouture allait être présentée. Ce fut donc un projet d’ordonnance qui a été discuté lors de ce conseil. La surprise fut grande d’apprendre le maintien de la tutelle matrimoniale pour la femme majeure. Ce qui a soulevé la colère des associations féminines qui n’ont pas manquées de relever que des concessions ont été faites au courant islamo-conservateur qui lui, s’est réjoui de ce nouveau texte.

L’ordonnance portant modification du code de la famille a été adopté le 14 Mars par le parlement Algérien.

Les changements apportés au code de la famille Algérien se rapprochent de ceux qu’a connu la moudawanna marocaine. Une nouvelle vision de l’institution familiale est proposée par le législateur des deux pays qui déroge à la vision traditionnelle consacrée par ces textes.
Les législateurs marocain et Algérien ont rééquilibrés les rapports entre époux. Les obligations partagées auxquelles sont tenues les époux font disparaître le devoir d’obéissance et la notion de chef de famille. L’âge au mariage au Maroc a été fixé uniformément à 18 ans pour l’homme et la femme et ce pour soustraire les petites filles au mariage dés l’âge de 15 ans. En Algérie l’âge au mariage pour la femme et l’homme a été fixé à 19 ans, âge de la majorité civile.

La tutelle matrimoniale au Maroc, c’est-à-dire la règle qui soumet impérativement la femme dans le mariage à la tutelle d’un membre mâle de sa famille a été supprimée et remplacée par l’octroi à la femme majeure de ce droit. Elle devient maître de son choix et l’exerce selon sa propre volonté et son libre consentement. En fait, la femme est libre de se faire assister ou non d’un tuteur lors de la conclusion du contrat de mariage. Les modifications apportées par l’ordonnance en Algérie ne font pas disparaître le tuteur matrimoniale. L’article 11 a été reformulé de manière à permettre à la femme majeure de conclure elle même son contrat de mariage en présence de son wali (tuteur) qui est son père ou un proche parent ou tout autre personne de son choix. On s’interroge à juste titre sur la valeur accordée à la présence du tuteur et qu’arrivera t-il si le tuteur ne se présentait pas au mariage ? Serait-il possible tout de même à la femme de le conclure ? Ce sont autant de questions qu’appelle cette disposition proposée.

En instaurant l’égalité des droits et des devoirs des deux époux, le législateur marocain et Algérien ont placée la famille sous la responsabilité conjointe des deux époux. De ce fait, la règle de l’obéissance de l’épouse au mari disparaît ainsi que la notion de chef de famille. Il n’existe pas de régime matrimonial dans les lois marocaine et algérienne. Chacun des deux époux conserve son propre patrimoine. C’est ce que le législateur nomme la séparation des biens. De nos jours, les deux époux mettent en commun leurs revenus pour la vie du ménage, acquisition de biens de consommation ou investissement durables. Pour protéger ce patrimoine acquis par les deux conjoints durant leur mariage , il leur est accordé la possibilité de se mettre d’accord dans un document séparé de l’acte de mariage sur le mode de gestion et de fructification des biens acquis durant le mariage.

En cas de désaccord, ils devraient recourir au juge qui se base sur les conditions générales de preuve pour évaluer la contribution de chacun des deux époux aux biens acquis durant le mariage.

Pour les deux pays la polygamie est maintenue et elle est soumise à l’autorisation du juge, ainsi qu’à des conditions légales draconiennes. Le juge doit s’assurer qu’il n’existe aucune présomption d’iniquité et être convaincu de la capacité du mari à traiter la deuxième épouse sur le même pied d’égalité que la première et leur garantir les mêmes conditions de vie. Le maintien d’une telle institution à laquelle néanmoins des restrictions sont apportées réduit la portée du principe de la responsabilité conjointe des deux époux dans la famille.

Un autre changement d’une grande importance est introduit au Maroc alors qu’il a toujours existé en Algérie, il concerne la consécration du divorce par voie judiciaire. La répudiation étant maintenue, celle-ci est soumise à l’autorisation préalable du tribunal .Il faut à ce niveau expliquer qu’en droit musulman la répudiation est un droit exclusif du mari qui ne souffre d’aucune contrainte ou condition. Avant de la soumettre à l’autorisation préalable du tribunal, l’époux pouvait exprimer la répudiation verbalement sans contrôle judiciaire. Par contre, lorsque la demande de séparation est introduite par l’épouse, il s’agit d’un divorce défini comme la dissolution du lien du mariage. Cette définition a également été étendue à la répudiation. Il a même été prévu le droit de la femme à demander le divorce pour préjudice subi (femme battue, délaissée, abandonnée sans moyens de subsistance) ; le divorce est prononcé par le juge à la demande de l’épouse. En arabe le talaq est la répudiation, droit accordé au mari de rompre l’union et le tatliq est le droit de la femme qui demande le divorce.

Le divorce par consentement mutuel a été rajouté comme un nouveau cas de dissolution des liens du mariage dans la loi marocaine.Cette forme de rupture du lien conjugal figure déjà dans le droit algérien. Pour préserver l’institution familiale marocaine et dans un souci d’équité et d’égalité entre les époux, il a été introduit le rejet de la demande de divorce formulée par l’épouse pour défaut de prise en charge s’il est prouvé qu’elle a suffisamment de moyens pour subvenir à ses besoins et que son époux est impécunieux. La création d’un fonds d’entraide familiale et la mise en place des tribunaux de famille sont des mesures mise en place à même de permettre une mise en œuvre efficiente du code de la famille. Il n’a pas été prévu ce genre de mesures par le législateur Algérien.

En consacrant le principe d’égalité entre homme et femme, le législateur a par ce fait accordé à la femme marocaine des droits qu’elle exerce et lui reconnaît le statut d’individu à part entière. Ce qui est conforme à toutes les Conventions internationales relatives à la condition féminine reconnaissant à la femme une individuation. La femme devient un sujet de droit. Accorder à la femme des droits, c’est également protéger les droits de l’enfant.

Les Marocains en rééquilibrant les rapports hommes, femmes dans la famille ont aussi jugé utile de renforcer la protection des droits de l’enfant en insérant des dispositions des accords internationaux auquel le Maroc a adhéré dans la législation familiale. L’intérêt de l’enfant est pris comme critère de prise de décision concernant son avenir

Il est donné la possibilité à l’enfant (fille ou garçon) de choisir librement dés l’age de 15 ans, la personne à qui sa garde doit être confié.

L’innovation et la dérogation au droit musulman est d’avoir introduit la possibilité pour la femme de conserver sous certaines conditions, la garde de son enfant même après son remariage ou son déménagement dans une localité autre que celle du mari. Il faut savoir que dans l’ancienne législation marocaine et dans celle de l’Algérie actuelle, la femme qui se remarie perd le droit de garde et peut même le perdre si elle s’éloigne à plus de 120 km du domicile de l’époux qui reste tuteur de ses enfants, car c’est lui qui exerce la puissance paternelle. Il est dommage que les changements n’aient pas été étendus à l’autorité parentale partagée entre les époux ou transférée à l’épouse en cas de divorce. Comme n’a pas été introduit le concept de responsabilité parentale dont fait état la Convention des droits de l’enfant.

L’ordre de dévolution de la garde a également été changé, elle est confiée à la mère puis au père ensuite à la lignée maternelle, grand- mère maternelle. Le juge intervient en fonction de l’intérêt de l’enfant pour confier la garde au plus apte des proches parents en cas de défaillance des pères et mères. Dans la législation Algérienne le droit de garde appartient à la lignée maternelle et le père ne vient qu’en sixième position pour prétendre à exercer ce droit. Les nouvelles propositions remettent en cause ce principe et instaurent un système de garde alternatif entre la lignée maternelle et paternelle, néanmoins le père vient en seconde position après la mère.

Il est garanti un habitat décent à l’enfant, en rapport avec son statut social avant le divorce. En Algérie la question a été des plus problématique, le domicile conjugal revenait au mari. Aujourd’hui celui qui exercera la garde gardera le logement. Si c’est la mère, le père devra assurer à la gardienne des enfants un logement décent ou à défaut son loyer. La femme ayant la garde est maintenue dans le domicile conjugal jusqu’à l’exécution par le père de la décision judiciaire relative au logement.

Il est important de souligner que la nouvelle loi marocaine pour protéger les droits de l’enfant né hors mariage a introduit et consacré la reconnaissance de paternité au cas où le mariage ne serait pas formalisé par un acte.

Cette procédure existait en Algérie, mais elle a été supprimée par les élus islamistes dans les années 90 –91 qui exigeaient (cela continue de se faire) la production d’un livret de famille pour toute déclaration de naissance.

La réforme marocaine a également touchée l’ordre successoral puisque les petits enfants du côté de la fille peuvent hériter de leur grand père au même titre que les petits enfants du côté du fils. La discrimination entre les petits enfants a été levée.

Ces nouvelles dispositions revalorisent le statut de la femme dans la famille et dans la société marocaine. Bien que l’égalité dans les rapports entre homme et femme dans la famille marocaine ait été introduite partiellement il n’en demeure pas moins que les nouvelles dispositions sont réellement de nouvelles avancées qui ouvrent la voie à la construction d’un Maroc et d’une famille modernes.

Les marocaines peuvent marquer un temps d’arrêt dans la poursuite de leur revendication pour aider au changement des mentalités.

Aidée d’une volonté politique, la méthode de l’Ijtihad (effort d’interprétation) a porté ses fruits au Maroc.

En Algérie les propositions de réforme du code de la famille sont jugées par certains comme des avancées. Il n’en demeure pas moins que tant que la femme n’a pas retrouvé toute sa capacité juridique pour exercer ses droits civils il est impossible de considérer que ce texte émancipe la femme de toute tutelle.

Nadia Ait-Zai Avocat à la cour


Ce rapport a été réalisé avec le soutien financier de l'Union européenne. Les vues exprimées ici sont celles de l'auteur et ne représentent pas la position officielle de la Commission européenne.