Difficile relance des négociations sur les droits d'auteur dans la presse, <i> Le Monde</i>

En dépit d'une série de jugements systématiquement favorables aux journalistes, la généralisation des accords de branche à propos de la rémunération des articles utilisés sur Internet reste improbable. Les syndicats sont divisés, tout comme les organisations patronales

MALGRÉ L'ARRÊT rendu, mercredi 10 mai, par la cour d'appel de Paris (Le Monde du 12 mai) concernant le Figaro, le contentieux persistant entre les organisations d'éditeurs de presse et les syndicats de journalistes sur le règlement des droits d'auteur est loin d'être aplani. La décision du Syndicat national des journalistes (SNJ) du Parisien de saisir la justice à propos de l'utilisation des articles des journalistes sur le site Web du quotidien régional (lire ci-contre) atteste du malaise qui règne dans de nombreuses entreprises de presse. Certes, à la suite de la décision de la cour d'appel de Paris, de nouvelles réunions de négociation sont prévues entre le 24 mai et le 8 juin, mais, semble-t-il, avec de faibles chances d'aboutir.

La jurisprudence paraît désormais établie. Trois décisions en première instance, suivies de deux confirmations en appel ont toutes, à quelques nuances près, pris le parti des journalistes. Après la cour d'appel de Lyon qui avait tranché en défaveur du Progrès (Le Monde du 15 décembre 1999), celle de Paris, saisie par le SNJ, a débouté la direction du Figaro. Sous la menace d'une astreinte de 10 000 francs (1524,5 euros) par jour, elle lui a interdit de réutiliser, en l'état, les articles des journalistes tant sur le Minitel que sur Internet.

" ACCORD PRÉALABLE "

S'appuyant sur des articles du code de la propriété intellectuelle et du code du travail, les magistrats ont considéré en effet que " le droit de reproduction cédé à la société de gestion du Figaro était épuisé dès la première publication sous la forme convenue, soit sur le support papier " et que " toute nouvelle reproduction sur un support de même nature ou sur un support différent impliquait l'accord préalable des parties contractantes, en contrepartie d'une rémunération équitable."

Bien que les deux arrêts rendus tant à Paris qu'à Lyon fassent l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation, les syndicats de journalistes y ont trouvé matière à faire valoir leurs droits. " Nous espérons que cette décision va donner un coup d'accélérateur aux négociations en cours qui vont prendre un tour plus offensif ", indique François Boissarie, délégué syndical du Figaro et président du SNJ, engagé dans une laborieuse partie de bras de fer avec Yves de Chaisemartin, PDG de la Socpresse, par ailleurs président du Syndicat de la presse parisienne (SPP). Jean-François Cullafroz, de l'Union des syndicats de journalistes (USJ-CFDT) considère lui que " la jurisprudence du Figaro renforce incontestablement la détermination des salariés. "

La situation est, en réalité, plus compliquée qu'il n'y paraît. Sur cette épineuse question, les syndicats restent divisés. L'accord de branche adopté par le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) a été signé par quatre organisations (CFDT, CFTC, CGC et le SJ-FO), mais il est dénoncé par le SNJ, la CGT et le SGJ-FO (Le Monde du 10 novembre 1999). Depuis, il a été suivi d'effet dans diverses entreprises comme Ouest-France et semble bien engagé à L'Alsace, au Télégramme de Brest, à La Voix du Nord et au Dauphiné.

De leur côté, les organisations patronales sont loin d'afficher leur unanimité. Parmi les plus réticents sur le principe, le Syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI) semble prêt à adopter une démarche plus " pragmatique ". Le blocage des négociations et l'absence d'accord constituent, il est vrai, des freins au lancement de sites Internet dans les groupes de presse, dont certains ont dû renoncer à leur développement.

Malgré l'évolution de la jurisprudence, le SPMI a formulé des propositions très éloignées des revendications syndicales et d'emblée jugées " inacceptables " pour le SNJ. Les divergences subsistent à propos de la diffusion en ligne des publications en cours de commercialisation comme sur la rémunération calculée en dehors des recettes de la publicité et du commerce électronique.

CAMPAGNE DE PRESSIONS

Faute d'accord à l'échelle des branches, les différents partenaires paraissent résignés à s'en remettre à des règlements dans les entreprises. Même si, reconnaît Me Ciryl Rojinsky, avocat spécialisé, " d'importantes incertitudes juridiques pèsent sur ces accords collectifs ". Dans un article de la revue Expertises de mars, il constate que : " Si Internet n'est pas une zone de non-droit, il (...) révèle parfois les contradictions et les limites de principes qui semblaient pourtant simples et bien établis. " Ce serait le cas dans la définition même du support des publications, de l'oeuvre collective et de la gestion des droits d'auteur comme du statut des journalistes.

Faut-il, comme certaines organisations patronales le suggèrent, attendre l'émergence de nouvelles directives émanant de l'Union européenne ? En guise de réponse, le SNJ mise sur le prochain sommet sur les droits d'auteur de la Fédération internationale des journalistes, du 14 au 16 juin à Londres, pour lancer une campagne de pressions auprès des éditeurs et des pouvoirs publics.

Pour sa part, le gouvernement français avait proposé des pistes de réflexion pour l'ensemble du secteur étendu aux auteurs, aux artistes et au cinéma. La table ronde envisagée ne s'est jamais réunie et la création d'un Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique reste en suspens. Nouvelle ministre de la culture, Catherine Tasca ne s'est, pour l'instant, guère empressée de reprendre ces projets à son compte.

Michel Delberghe