Résumé
Existe-t-il un
modèle francophone unique d'autorégulation des médias ? Assurément non, si
l'on s'en tient aux conclusions
tirées de la rencontre des organes d'autorégulation des médias dans l'espace francophone, tenue à
Sofia en Bulgarie, du 27 au 30 septembre 2010. Les différentes approches d'autorégulation des médias, en vérité, épousent toujours les contours
politiques, économiques et sociaux des pays où elles se déploient.
Un paysage
médiatique, doit-t-il d'ailleurs être nécessairement régi par un organe
d'autorégulation des médias ? Non, ont semblé affirmer certains participants, qui ont rappelé, au passage, que dans leurs pays, il n'existe pas,
en tant que tel, d'organe de ce type. Les communications présentées par les représentants de la France et du
Cap Vert ont ainsi montré qu'un système médiatique peut bien faire l'économie
d'un organe d'autorégulation des médias, bien que le débat reste d'actualité
dans les deux pays. En France, ce sont les juridictions de droit commun
adossées à des lois très fortes qui
encadrent le principe de la liberté d'informer et qui traitent des
questions habituellement dévolues, sous d'autres cieux, aux organes d'autorégulation.
Il est vrai qu'en France, des systèmes internes de médiation ont
progressivement été mis en place dans
certains grands médias pour servir d'interface entre le public et les journalistes.
Le rôle de médiateur est ainsi devenu de plus en plus prisé dans les grands
groupes de médias français. Au Cap
Vert, du fait du très petit nombre de journalistes en exercice, de la
quasi-inexistence de délits de presse et, sans doute, de la grande stabilité
politique que connaît le pays, la nécessité d'un organe d'autorégulation ne se
fait pas encore sentir. Pour l'heure, la situation politique ne se tend
pas et les acteurs médiatiques respectent strictement les règles déontologiques minimales. Si cette
situation devait évoluer dans le mauvais sens, le coût de cette « exception » capverdienne
pourrait, à l'avenir, s'avérer très élevé.
Le cas du Cap Vert,
on l'a dit, fait exception sur le continent où les organes d'autorégulation des
médias nés à la fin des années
quatre-vingt-dix, se présentent sous des formes diverses et
variées : dans certains pays, c'est le cas au Burkina Faso, l'instance est
majoritairement composés de fonctionnaires qui, au gré des décisions
d'affectations prises par la tutelle administrative, rejoignent leur corps
d'origine ou sont appelés à d'autres fonctions plus lucratives, vidant ainsi
progressivement la structure de leurs membres les plus vaillants. C'est la
question de la disponibilité des ressources humaines, capitale au sein des
instances d'autorégulation, qui est posée ici. Car il n'y a pas d'instance d'autorégulation
sans personnel qualifié et disponible. Dans certains pays comme la
Centrafrique, la structure est essentiellement animée par des personnes
bénévoles, souvent en retraite, sans moyens et dont les décisions sont censées
s'appliquer à des journalistes eux-mêmes dépourvus de moyens.
Faut-il, pour
autant, en conclure à l'inutilité des organes d'autorégulation des
médias ? Non, ont semblé dire les participants, car malgré les limites de
l'exercice, l'instance d'autorégulation reste encore plus qu'indispensable dans
le contexte politique volatile de certains pays. Ne serait-ce que parce qu'elle
a eu à jouer encore récemment un rôle-clé pour contenir les dérives d'une
certaine presse durant les fragiles
phases de transition démocratique, comme cela a été le cas en Guinée. Il
convient, toutefois de tempérer cet optimise : la très professionnelle et
très crédible instance d'autorégulation de Côte d'Ivoire, l'OLPED, qui a été la
toute première à avoir vu le jour en Afrique francophone, n'a pas su juguler,
hélas, les dérives d'une presse débridée durant les folles années de la
décennie 2000-2010 au cours de laquelle les journalistes ont volontairement
choisi de « communiquer » au lieu « d'informer ».
L'instance d'autorégulation
des médias de la République démocratique du Congo a également éprouvé des
difficultés à faire respecter chez elle les règles éthiques minimales durant
les périodes de crise aiguës. Il est vrai qu'ici, les centaines de chaînes de
télévisions, de journaux, de stations de radios, l'étrange mélange entre hommes politiques et propriétaires de médias,
ainsi que la taille du territoire
(4,3 millions de km2) rendent hypothétique tout travail rigoureux dans ce
domaine.
D'ailleurs, la
maturité du système politique est-t-elle l'antidote à toute dérive ?
Manifestement non, si l'on en croit le témoignage rapporté par le représentant
du Bénin, où il arrive souvent que les journalistes franchissent la ligne rouge
malgré les rappels à l'ordre de l'organe d'autorégulation des médias, qui bien
souvent, prêche dans le désert. Pourtant, l'instance, fille des revendications
démocratiques post-conférence nationale, au demeurant l'une des plus
professionnelles du continent, dispose d'un budget consistant.
Les instances
d'autorégulation -y compris dans les pays du Nord à l'exception notable de
celle de Belgique qui reçoit un financement public- sont toutes confrontées à
ce problème de budget. Même le Québec dont la structure sert de référence dans
ce domaine, n'échappe pas à ce problème de financement. Partant de ce constat,
les participants sont, à
l'unanimité, convenus que, quelle que soit la bonne volonté des personnes qui
animent les organes d'autorégulation, ceux-ci ne peuvent fonctionner réellement
que là où existe un Etat de droit conscient de sa pertinence. Et ils ne peuvent
fonctionner que lorsque qu'ils disposent d'un budget. Les trois conditions sont
donc nécessairement liées.
Au fil des
discussions, il a été noté que le terme « Observatoire», structure chargée
le plus souvent d'une activité de « monitoring » des médias, est
généralement utilisé dans les pays du Sud alors que celui de « Conseil de
presse », agissant généralement sur saisine du public, est plus utilisé
dans les pays du Nord.
Il a également été
constaté que l'auto-saisine avait cours en fonction des pays et des régions,
alors même que l'activité de médiation était pratiquée de manière presque
systématique.
S'est également
posée la question de la portée des décisions des organes d'autorégulation. A
qui s'adressent-elles ? Aux journalistes ? Aux patrons de
presse ? Manifestement au deux, car blâmer un journaliste, c'est blâmer le
média qui porte sa signature, c'est blâmer toute la « chaîne de commandement ».
En Belgique, cela est expressément rappelé dans les décisions prises par
l'instance d'autorégulation.
La composition des
instances d'autorégulation a également occupé les débats. Dans certains pays,
la société civile est admise au sein de l'instance. Ailleurs, comme en Côte
d'Ivoire, les patrons de presse siègent au sein de l'instance alors que le
Conseil de presse de la Slovaquie, curieusement, n'accueille aucun journaliste
en son sein!
Le besoin de
reconnaissance et de visibilité de l'organe est crucial. Cela passe
nécessairement par un meilleur dialogue avec le public et la profession, mais
aussi avec certaines catégories de personnes telles que les étudiants en
journalisme, comme c'est le cas en Suisse.
Le rôle des
syndicats a été qualifié de moteur dans la création et le fonctionnement des
instances. En Belgique, c'est l'Association des journalistes professionnels qui
est à l'origine du Conseil de déontologie. Ailleurs cela n'est pas aussi
évident. Objet de controverses dans un pays comme la Tunisie, l'instance
syndicale ne permet pas de regrouper ses membres autour d'un projet fédérateur
d'organe d'autorégulation.
Enfin, les participants ont manifesté une réelle volonté de renforcer les
réseaux francophones d'instance d'autorégulation des médias. Le site www.mediaf.org a été pressenti comme plateforme
d'échanges à cet effet.